• Cécile Parthoens
    directrice adjointe au Centre d’Action Laïque de la Province de Liège

Cultures : Ces différences qui font le vivre ensemble

2015, année de Mons Capi­tale Euro­péenne de la Culture mais aussi des atten­tats contre Char­lie Hebdo, a généré un nombre consi­dé­rable d’articles et de dossiers à propos de la culture, son rôle et ses enjeux. Parmi ceux-ci est évoqué son accès par ceux que l’on quali­fiera parfois d’exclus ou de margi­na­li­sés, ou encore de mino­ri­tés. Il est alors courant d’attirer l’attention du lecteur sur ce qu’on entend par « culture ».

Fait-on réfé­rence à l’accès aux produc­tions artis­tiques, à la culture avec un grand « C » ? Ou parle-t-on encore de la culture dans son accep­ta­tion la plus large, selon la défi­ni­tion propo­sée par l’UNESCO : « Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être consi­dé­rée comme l’ensemble des traits distinc­tifs, spiri­tuels et maté­riels, intel­lec­tuels et affec­tifs, qui carac­té­risent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les droits fonda­men­taux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les tradi­tions et les croyances.1 ».

Dans cette concep­tion, la culture est un ensemble dyna­mique d’éléments qui contri­buent à « faire société » de manière plus ou moins harmo­nieuse. Ces éléments influencent et valident nos manières d’être en rela­tion avec le monde et les autres. À ce titre, nous sommes donc tous porteurs de culture(s).

Dans cette concep­tion, la culture est un ensemble dyna­mique d’éléments qui contri­buent à « faire société » de manière plus ou moins harmo­nieuse. Ces éléments influencent et valident nos manières d’être en rela­tion avec le monde et les autres. À ce titre, nous sommes donc tous porteurs de culture(s). Dans une société démo­cra­tique qui consacre l’égalité entre les êtres humains, si la culture est le reflet et le ciment qui lient les membres de cette société entre eux, chacun devrait avoir la possi­bi­lité d’influer sur l’équilibrage et l’articulation entre ces éléments dyna­miques. Et pour­tant : ces jeux d’influence débouchent sur des rapports de domi­na­tion d’une tendance sur une ou plusieurs autres. Les laïques ne le savent que trop, eux dont les souhaits de neutra­lité dans l’organisation de l’État sont régu­liè­re­ment mis en sour­dine par l’écrasante domi­na­tion de la tradi­tion catho­lique. Pour faire court, et en le disant de manière un peu simpliste, les normes de notre société sont donc bien souvent le résul­tat du rapport de force entre une culture domi­nante et des cultures mino­ri­taires. Heureu­se­ment, pour peu que les uns et les autres possèdent dans leur rang des inter­lo­cu­teurs recon­nus comme valides (c’est-à-dire possé­dant un mini­mum de bagage commun à la classe domi­nante), les rapports de domi­na­tion évolue­ront en fonc­tion des ques­tions trai­tées. Ainsi, pour les laïques de Belgique, s’il est évident que certains combats doivent encore être menés de longue haleine, ils comptent parmi leur rang de nombreuses personnes recon­nues comme inter­lo­cu­teurs rece­vables et leur influence sur les normes et réfé­rents collec­tifs de notre société n’est plus à démon­trer. Pour d’autres, par contre, le droit d’influence sur les repères d’une société qui leur paraî­trait injuste, inadap­tée, incom­plète semble être nié voire non souhai­table car « hors normes ».

Les temps de crise comme ceux que nous vivons sont rare­ment ceux de l’ouverture. Mais plutôt du repli et de la défense des acquis, des tradi­tions, celui où il est tentant d’accuser les « hors normes » de consti­tuer des entraves à la bonne marche d’un système. À l’inverse, pour sortir d’une crise, ne serait-il pas inté­res­sant d’oser penser hors cadre ? Les regards et concep­tua­li­sa­tions des « hors normes » ne seraient-ils pas autant de chances données à la collec­ti­vité de se réflé­chir autre­ment et de se construire des repères plus adap­tés ? Mais quand on ne « vit pas dans le même monde », quand on ne  « parle pas le même langage », pas facile d’être entendu. Pas facile, non plus d’écouter…

S’emparer de la culture, c’est s’emparer de ce qui fait le reflet et le ciment de ce qui lie une société.

Motivé par ce fabu­leux défi de société, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège mène depuis plusieurs années deux projets cultu­rels desti­nés à tendre des micros, à mettre des hauts-parleurs et à construire des ponts entre les diffé­rents mondes, entre les diffé­rents discours, bref, entre les diffé­rentes cultures (au sens où l’entend l’UNESCO) qui composent notre société. Les Fieris Féeries à Seraing et Aux Livres, Citoyens ! sur l’ensemble de la province de Liège ambi­tionnent de soute­nir la parole de ceux qui l’ont moins. De permettre, à travers des produc­tions artis­tiques, à leurs réflexions, leurs tris­tesses, leurs colères parfois mais aussi leurs humours, leurs tendresses, leurs fier­tés, leurs espoirs de prendre place dans l’espace public. Après quelques années de travail, les résul­tats sont passion­nants, quel­que­fois surpre­nants, décon­cer­tants, mais toujours riches. Ils ne consti­tuent cepen­dant que la moitié du chemin. Pour que tout ce travail prenne sens, il faut que ceux qui vivent dans « les autres mondes », qui parlent « d’autres langages » acceptent d’être des spec­ta­teurs, que dis-je, des inter­lo­cu­teurs?! Soit des personnes qui vont faire l’effort de la décou­verte, qui vont aller au-delà de l’aspect esthé­tique de ce qui leur est offert, qui leur plaira ou non, pour se lais­ser inter­ro­ger par les inter­pel­la­tions qui s’y insi­nuent et se sentent respon­sables d’au moins y réfléchir.

Motivé par ce fabu­leux défi de société, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège mène depuis plusieurs années deux projets cultu­rels desti­nés à tendre des micros, à mettre des hauts-parleurs et à construire des ponts entre les diffé­rents mondes, entre les diffé­rents discours, bref, entre les diffé­rentes cultures (au sens où l’entend l’UNESCO) qui composent notre société.

C’est à condi­tion de trou­ver ces inter­lo­cu­teurs-là que les Fieris Féeries et Aux Livres, Citoyens ! attein­dront leurs objec­tifs. En donnant la parole aux personnes habi­tuel­le­ment mises en sour­dine, le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège ne souhaite pas seule­ment agir avec et pour celles-ci, mais bien travailler à l’enrichissement de l’ensemble de la collec­ti­vité et, par un travail d’expression artis­tique, accroître l’éclairage sur la complexité des choses.


  1. UNESCO, décla­ra­tion de Mexico sur les poli­tiques cultu­relles. Confé­rence mondiale sur les poli­tiques cultu­relles, Mexico City, 26 juillet–6 août 1982.
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