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Gaëtan Absil,
anthropologue et historien à l’École de santé publique de l’ULg
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Patrick Govers,
anthropologue et historien à l’HELMo
Transhumanisme : un imaginaire de l’exploitation ?
Vaincre la mort semble un horizon plausible du transhumanisme1 : l’utilisation des sciences et des technologies pour améliorer la condition humaine et en exclure le handicap, la maladie, le vieillissement et la mort.
L’immortalité relève des instances imaginaires, matérielles et des relations sociales2. Elle relève d’une anthropologie du corps et d’une analyse de la technique comme « recherche du moyen le plus efficace dans tous les domaines. »3
L’imaginaire : un mythe médical
« Toute la médecine consiste à jouer avec la nature » (J.-N. Missa, Le Soir 8 octobre, 2014). La quête de l’immortalité marque l’imaginaire médical depuis les mythologies antiques4. Asclépios (mythologie grecque) incarne le médecin qui ramène les morts à la vie. Ce mythe enseigne que la médecine peut vaincre la mort et que le médecin est capable d’enfreindre les lois naturelles. De nos jours, ce mythe s’actualise dans un ensemble de technologies (génomique, cybernétique, informatique, nanotechnologie, neurosciences) qui associent l’homme, la machine et les sciences. Ce mythe, s’il se réalise, entraînera une révolution radicale de la définition sociale et biologique de la vie et de la mort. Que ferons-nous de nos cimetières et de nos mémoires ?
Ce mythe enseigne que la médecine peut vaincre la mort et que le médecin est capable d’enfreindre les lois naturelles. De nos jours, ce mythe s’actualise dans un ensemble de technologies (génomique, cybernétique, informatique, nanotechnologie, neurosciences) qui associent l’homme, la machine et les sciences.
Le corps comme matière
L’humain sera-t-il immortel, invulnérable ou augmenté ? Du point de vue de l’anthropologie médicale, il y a une différence entre une conception de l’homme immortel et invulnérable. Si la vieillesse devient une pathologie, il faudra se poser la question des seuils de cette pathologie. À partir de quel âge devrons-nous initier le combat contre le vieillissement ? À quel âge devrons-nous stopper le processus, quel serait l’âge optimal ? Si l’homme n’est qu’un corps, il faudra envisager les limites d’un remplacement de ses parties par des produits biotechnologiques. Selon l’idée de Csordas (1994), le corps est un support de notre identité et de nos apprentissages. Comment cette identité pourra-t-elle se construire à partir d’un corps artificiel, dont la seule histoire pourrait être celle du remplacement de ses parties ? L’homme sera-t-il définitivement esclave d’un complexe socio-technologique5 condition de son immortalité et de sa survie par une désincarnation de la vie ? Le corps considéré comme matière soulève ainsi la question philosophique et anthropologique de la séparation du corps et de l’esprit.
Les transformations sociales
Les biotechnologies seront onéreuses (recherches, investissements, bénéfices, etc.). Si l’accès au transhumain n’est pas universel, il introduira une inégalité radicale liée au capital financier des personnes. Ainsi pourrions-nous envisager l’émergence d’une société de la pérennisation des élites, contraire à une démocratisation de la société. En l’absence de révolution, le transhumain figerait les rapports de pouvoir, ceux-ci ne pouvant plus être mis en cause par la mort. L’accès universel au transhumain pourrait-il, au contraire, réaliser l’égalité en donnant les mêmes chances biologiques à tous ? Cette égalité biologique ne se superposera peut-être pas avec une égalité sociale. L’enjeu de l’accès se prolonge à propos du travail. Potentiellement, il n’y aurait plus de fin de carrière : un corps pourra toujours être réparé ou optimisé. En sera-t-il autant concernant l’exposition aux risques psychosociaux et au burn out ? Reste à savoir si l’immortalité serait une voie de libération ou d’esclavage face au travail. Comment et à qui rembourser ce « corps-outil » rénové ?
Reste à savoir si l’immortalité serait une voie de libération ou d’esclavage face au travail. Comment et à qui rembourser ce « corps-outil » rénové ?
Mais ne serait-ce pas aussi la fin de ce que dans nos sociétés nous appelons famille car pourquoi donc l’être devenu immortel aurait-il une descendance, celle-ci n’étant plus nécessaire à la survie ou à l’héritage6. L’immortalité pourrait également déboucher sur l’avènement de la transgénération, soit le lissage de la différence générationnelle, considérée comme un des piliers de la vie en société (cf. les écrits d’un des pères fondateurs de la sociologie Auguste Comte).
« Trans » : un nouvel imaginaire ?
Depuis déjà deux décennies, nos sociétés post-industrielles sont entrées de plein pied dans la dimension « trans ». Appadurai (1996) en décrit bien les contours. La consommation, selon lui, s’est muée en un travail civilisant. Nous ne partageons pas son optimisme. Pour nous, l’enjeu majeur n’est ni plus ni moins qu’une exploitation renouvelée des corps et des esprits.
- humanityplus.org/philosophy/transhumanist-declaration/
- Desjeux, 2009.
- Ellul, 2004.
- Vons, 2000.
- Akrich, 1989.
- Godelier, 2014.