• Charles Susanne
    Charles Susanne
    professeur honoraire d’anthropologie à l’Université libre de Bruxelles

Les « mystères » de la mort

Devant les angoisses de la vie, et surtout de la mort, les êtres humains ont de tout temps élaboré des visions d’un monde de l’au-delà et ont envi­sagé des forces magiques. Les êtres humains ont souvent inventé des dogmes les plus invrai­sem­blables pour expli­quer des phéno­mènes les plus évidents. Toutes les civi­li­sa­tions humaines se sont inter­ro­gées sur l’origine de la vie et sur les « mystères » de la mort. Les réponses ont toujours été simples et donc rassu­rantes : la genèse est l’œuvre des dieux. Le biolo­giste — qui analyse la complexité de la vie et de son évolu­tion — peut, par consé­quent, appa­raître déran­geant. Les reli­gions judéo-chré­tiennes sont dualistes, envi­sa­geant un corps maté­riel et mortel et une âme imma­té­rielle et immuable. Pour l’église catho­lique offi­cielle, c’est encore le cas, puisque, lorsque Jean Paul II décla­rait que l’évolution était « plus qu’une hypo­thèse », il n’impliquait que le corps maté­riel et pas l’esprit imma­té­riel. Les scien­ti­fiques chré­tiens estiment cepen­dant que la notion d’âme doit être repen­sée au vu des connais­sances neuro-biolo­giques. Le discours reli­gieux moderne remplace l’erreur par la confusion.


Le vita­lisme et l’animisme ne résistent plus aux sciences1. La vie est une mani­fes­ta­tion de la matière, répon­dant aux lois physiques et chimiques. La pensée l’est égale­ment comme le montrent les neuro-biolo­gistes. Déjà en 1991, le philo­sophe catho­lique fran­çais Jean Guit­ton2, l’admettait : « L’esprit et la matière forment une seule et même réalité. » Les sciences peuvent aussi être déran­geantes dans la mesure où elles mettent en doute des espé­rances humaines et des angoisses exis­ten­tielles : certains ont besoin de sécu­rité et de se savoir possé­der une « âme immor­telle ». Il nous faut former des esprits scien­ti­fiques, ou plus simple­ment des esprits critiques, capables de faire des efforts à mieux se connaître, capables d’observer l’humanité au-delà des appa­rences, capables d’analyser les facteurs qui nous mènent aux angoisses exis­ten­tielles non ration­nelles. Ne devrions-nous pas tous être d’accord pour combattre les super­sti­tions, l’ignorance, le dogma­tisme, l’irrationalisme, à savoir les multiples affronts à l’intelligence humaine ? Il nous faut rester ferme et ouvert à la fois : ouvert à un travail sur soi-même, ouvert au dialogue avec les croyants, mais ferme dans le combat contre l’influence que les églises ont (de plus en plus) sur les insti­tu­tions poli­tiques. Le combat de la laïcité restera celui de la tolé­rance et de la liberté de croyance ou d’incroyance, ainsi que celui du main­tien d’une sépa­ra­tion entre raison et reli­gion. Le domi­ni­cain J. Arnould propose de ne pas confondre ces deux sphères : « Confondre ces deux sphères c’est entra­ver l’humanité, la main­te­nir dans les rets de la peur : le recours à un deus ex machina pour remplir les fossés de notre igno­rance ne permet plus de libé­rer l’humanité des craintes ances­trales susci­tées par les forces obscures et mécon­nues de la nature. »3


  1. Susanne Charles, Science et reli­gion : guerre ou paix ?, Memo­grames, 2011.
  2. Guit­ton Jean, Dieu et la Science, Gras­set, 1991.
  3. Susanne Charles et Sand Georges (dir.), Bioé­thique, pour un progrès de l’humanité, Memo­grames, 2012.
< Retour au sommaire