• Edgar Szoc
    Edgar Szoc
    chercheur-associé d’Etopia

L’égalité, notre intérêt à tous !

Long­temps évin­cée du débat public, la ques­tion de l’égalité en tant que telle, et non pas sa version euphé­mi­sée que consti­tue la notion d’égalité des chances, fait un retour marqué, tant sur le plan des contro­verses intel­lec­tuelles que dans le champ politique.


De nombreux éléments en attestent, qu’il s’agisse des slogans poli­tiques (« We are the 99% »), de légers bascu­le­ments concep­tuels dans les outils d’élaboration des poli­tiques publiques (par exemple, le fait, impen­sable jusqu’il y a peu, que la Commis­sion ait inséré un indi­ca­teur d’inégalités dans son tableau de bord macro-écono­mique), mais aussi du four­mille­ment de recherches et vulga­ri­sa­tions sur le sujet. Le salaire des patrons ou le montant des indem­ni­tés parle­men­taires ne se sont pas seule­ment impo­sés comme des ques­tions de bonne gouver­nance ou d’éthique poli­tique, mais aussi de justice collec­tive, comme si chacun devait désor­mais prendre sa part juste du sacri­fice ou du béné­fice collectif.

Pour soute­nir la protec­tion de salaires équi­tables en Suisse, des mani­fes­tants ont choisi l’ironie et la bonne humeur au travers d’une « mani­fes­ta­tion de riches » en avril 2014. Leur but : mettre en lumière l’importance de l’égalité sociale dans la société. CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Gustave Deghilage

Une société égali­taire profi­table même aux plus riches

Dans ce four­mille­ment, un des moments les plus marquants est la paru­tion de la traduc­tion fran­çaise du livre de Kate Pickett et Richard Wilkin­son, The Spirit Level. Les conclu­sions de ces deux épidé­mio­lo­gistes viennent en effet asseoir sur des recherches très solides l’intuition portée par un nombre crois­sant d’acteurs sociaux quant aux ravages causés par la montée des inéga­li­tés dans les socié­tés post-indus­trielles. Les statis­tiques sont claires : les pays riches les plus égali­taires sont ceux dans lesquels la préva­lence d’une série de situa­tions sociales préju­di­ciables est la plus faible et où, au contraire, des variables posi­tives telles que la confiance que s’accordent les gens ou même le taux de recy­clage des déchets sont les plus élevées. Ces variables sont meilleures, non seule­ment pour la moyenne de la popu­la­tion, mais aussi pour chaque partie de la popu­la­tion prise isolé­ment, y compris le décile le plus riche. Pour donner un exemple, l’espérance de vie des 10 % les plus riches est meilleure dans une société égali­taire que dans une société inéga­li­taire. Autre­ment dit, l’égalité doit être consi­dé­rée comme une espèce de bien commun qui profite à tous – non seule­ment aux plus pauvres, ce qui paraît évident, mais égale­ment aux plus riches – ce qui relève nette­ment moins de l’évidence.

(…) l’égalité doit être consi­dé­rée comme une espèce de bien commun qui profite à tous – non seule­ment aux plus pauvres, ce qui paraît évident, mais égale­ment aux plus riches – ce qui relève nette­ment moins de l’évidence.

Les auteurs ont essen­tiel­le­ment travaillé sur des variables à gradient social, c’est-à-dire des phéno­mènes dont le niveau augmente au fur et à mesure qu’on descend dans l’échelle des reve­nus quand elles sont néga­tives, comme le taux d’emprisonnement, ou dimi­nue au fur et à mesure qu’on descend cette échelle quand elles sont posi­tives, comme l’espérance de vie. Mais leurs résul­tats dépassent les problé­ma­tiques à gradient social. Ainsi, des phéno­mènes tels que, encore une fois, le recy­clage des déchets, sont beau­coup plus courants dans les socié­tés égali­taires. Comme si un certain niveau d’égalité était indis­pen­sable à la construc­tion d’un monde commun que chacun se sent chargé de préser­ver ou d’entretenir.

L’égalité, réel enjeu des poli­tiques publiques

Mises en rela­tion avec d’autres travaux, notam­ment ceux de Thomas Piketty, qui démontrent l’importance numé­rique de la montée des inéga­li­tés au cours des trois dernières décen­nies, les conclu­sions de Wilkin­son et Pickett devraient logi­que­ment conduire à une rééva­lua­tion du logi­ciel de poli­tiques publiques en matière sociale. Depuis le tour­nant néo-libé­ral du début des années 80, celles-ci se sont en effet appli­quées à lutter contre la pauvreté (ou, au vu des résul­tats effec­tifs, à « prétendre le faire »), en consi­dé­rant les inéga­li­tés comme une ques­tion sans inté­rêt ni consé­quence. Le prix indi­vi­duel et social que chacun paye pour ces inéga­li­tés néces­site une refon­da­tion urgente en matière sociale, fiscale et économique !

Si nous sommes encore loin du compte, au moins la direc­tion est-elle claire !

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