- Nicolas Latteur,
collaborateur au Centre d’Éducation Populaire André Genot (CÉPAG)
L’austérité, un instrument de pouvoir
L’austérité est-elle nécessaire ? Oui, elle l’est. Mais pour qui ? Et de quelle nécessité parle-t-on ? L’austérité est le principe fondateur des politiques menées en Europe. Les gouvernements rivalisent dans la compétition à la diminution des dépenses publiques. Fédérations patronales, économistes mainstreams, dirigeants politiques préviennent des risques encourus si les comptes publics ne sont pas remis sur le droit chemin.
Derrière cet intégrisme budgétaire se cachent des arbitrages politiques. La dette publique et l’austérité sont des instruments de pouvoir. L’endettement résulte principalement de la fiscalité avantageuse dont bénéficient depuis plusieurs décennies les couches sociales les plus fortunées. Elle leur permet de faire d’une pierre trois coups ! Ces classes nanties contribuent moins aux frais généraux de la société (équipements collectifs, protections sociales, …). Ensuite, elles peuvent en faisant crédit aux États (par l’intermédiaire des institutions bancaires et des marchés financiers) obtenir sous la forme de remboursements d’intérêts un nouveau transfert de richesses en leur faveur. Enfin, le désinvestissement de l’État dans les équipements collectifs et les protections sociales offre des opportunités de profit à des capitaux (assurances santé, pension, …).
Loin de réduire l’endettement, l’austérité engendre également un surcroît de chômage. C’est le levier qui permet de dégrader les conditions d’emploi et de salaire. Elle permet d’atteindre un objectif central : le rétablissement de la rentabilité du capital. L’histoire de l’austérité est celle de la mise en dépendance de la société aux appétits aveugles de la finance capitaliste. Cette dernière s’en prend aux éléments socialisés du salaire (moyens affectés à des systèmes collectifs et publics) et tente de s’approprier une part des richesses affectées à la satisfaction des besoins sociaux.
L’austérité est donc nécessaire pour rétablir la rentabilité du capital mais elle est suicidaire car elle éloigne les sociétés de réponses progressistes aux inégalités sociales et aux questions environnementales.
C’est donc à la définition d’une autre nécessité qu’il est urgent de s’atteler, celle d’une politique qui s’oriente vers la satisfaction des besoins sociaux et qui intègre les questions environnementales. Elle passe par la mise en cause des instruments qui maintiennent et approfondissent les inégalités. C’est pourquoi l’évaluation de la légitimité de la dette et son annulation totale ou partielle sont indispensables. Tout comme l’est la réduction collective du temps de travail sans perte de salaire avec embauche compensatoire afin de lutter contre le chômage. L’idée centrale est de combiner une stratégie de défense des conquêtes sociales et une perspective offensive de contrôle démocratique sur ce que l’on fait avec les richesses produites (dividendes ou créations d’activités utiles) et sur l’utilisation des impôts (subventionner le capital ou financer des services publics).
Cette alternative nécessite la construction d’autres rapports de force qui paraissent inaccessibles aujourd’hui. Il ne faut certainement pas sous-estimer la difficulté de la tâche mais il serait suicidaire de supposer d’emblée son impossibilité.
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