-
Romain Pasteger,
pour l’Audit Citoyen de la Dette (ACIDe) Liège
La dette : cause de la situation économique actuelle ?
Un mal qui répand la terreur, la dette, semble être venu se rappeler à nos comptes depuis plusieurs années. Enjeu politique et économique, celle-ci semble commander les grandes orientations économiques de l’Europe plongée dans la crise. En Belgique, le remboursement de la dette pèse environ 20 % du budget annuel de l’État. Cela pose donc des questions, mais qui sont jusqu’à maintenant niées par les autorités publiques et les grands médias.
La dette en Belgique vient, comme ailleurs, de loin : dans les années 80, notre pays a dû plusieurs fois emprunter à des taux confiscatoires (jusqu’à 14%) auprès des banques privées. Il a également dû recourir davantage à l’emprunt public en raison des réformes fiscales en faveur des ménages les plus aisés ainsi que de la diminution du taux moyen d’imposition effectif des entreprises (12 % en 2009, au lieu du taux légal de 33,99%). La dette publique a également fortement augmenté depuis la crise de 2008 provoquée par les banques: la Belgique est ainsi passée d’une dette de 84 % à 104 % du Produit Intérieur Brut (PIB), soit de 285 à 413 milliards d’euros ! Au-delà du sauvetage des banques (35 milliards d’euros en Belgique) effectué via l’emprunt public, la crise elle-même et la gestion qu’en font les autorités nous entraîne dans un cercle vicieux.
Pas d’alternative… vraiment ?
En effet, jusqu’à présent, les réponses à cette crise ont pour l’essentiel suivi une doxa commune à toute l’Europe, sous différents oripeaux : l’austérité. De grands producteurs de discours (institutions, gouvernements, « experts », certains éditorialistes…) prétendent en effet que l’État a vécu en fanfaron au-dessus de ses moyens et qu’il nous faut réduire les dépenses publiques. Les rationnels du rationnement parleront de « réformes structurelles », les hygiénistes de la tirelire de « rigueur », les timoniers téméraires de « gouvernance ». Résonne alors comme un tocsin les « Nous n’avons pas le choix» ou « Il n’y a pas d’alternative ».
(…) jusqu’à présent, les réponses à cette crise ont pour l’essentiel suivi une doxa commune à toute l’Europe, sous différents oripeaux : l’austérité. De grands producteurs de discours (institutions, gouvernements, « experts », certains éditorialistes…) prétendent en effet que l’État a vécu en fanfaron au-dessus de ses moyens et qu’il nous faut réduire les dépenses publiques.
Il n’empêche. Lorsqu’on compare, sur les 30 dernières années, les dépenses de l’État par rapport à la richesse produite, on constate une étonnante stabilité (autour de 43 % du PIB, selon la Banque Nationale de Belgique). Nous assistons cependant à une série de réductions budgétaires essentielles (santé, transports, services publics, culture, justice, enseignement…) et de sacrifices infligés à une bonne partie de la société. Par ailleurs, l’économie reste en berne, la demande se tasse, le crédit est restreint, l’emploi se détériore voire se détruit, la classe moyenne se déclasse, les recettes fiscales diminuent et la dette augmente… Pourtant, on pontifie encore à force de traités, de discours et de rapports pour respecter ce sacro-saint «équilibre budgétaire» en coupant dans les dépenses publiques. Mais à qui profite le dogme ?
Afin de limiter leur déficit budgétaire pour éviter de mauvaises notes auprès des agences de notation et ainsi rassurer les « marchés », les États empruntent aux institutions financières privées. Ces dernières empruntent à leur tour la somme demandée à la Banque centrale européenne à des taux d’intérêt ridiculement bas, pour la prêter ensuite aux États à des taux pharaoniques, et empochent la différence. Ces États, qui ont renoncé à réguler le secteur financier, n’ont d’autre choix que de rembourser des sommes toujours plus grandes, creusant leur propre dette dans un cercle vicieux.
Informer les citoyens sur les mécanismes de la dette
Cependant, plusieurs associations en Europe s’élèvent contre cette tyrannie en réclamant un « audit citoyen ». Cette démarche permettrait, entre autres, de savoir qui détient réellement la dette publique (en Belgique, la majorité de nos créanciers sont des grandes institutions financières, et moins de 2 % de la dette publique est détenue par des particuliers). La question de la légitimité de la dette serait également posée lors d’un tel audit. Divers instruments de droit international existent en la matière pour permettre d’annuler une partie de la dette si celle-ci résulte d’une spéculation excessive ou des risques inconsidérés pris par le secteur privé, ou encore si les principes de l’État de droit démocratique et les droits humains fondamentaux sont bafoués… L’argent ainsi récupéré pourrait être réinvesti dans la société et pas dans un transfert de richesses au profit d’une minorité.
Divers instruments de droit international existent en la matière pour permettre d’annuler une partie de la dette si celle-ci résulte d’une spéculation excessive ou des risques inconsidérés pris par le secteur privé, ou encore si les principes de l’État de droit démocratique et les droits humains fondamentaux sont bafoués…
Le but d’une campagne d’audit citoyen est, enfin, de sensibiliser la population à ce sujet maltraité et de proposer un contrôle régulier de celle-ci sur la dette publique. Depuis la crise, des pays comme l’Islande ont eu le courage politique d’entamer une démarche semblable. La Belgique docile, le « bon élève de l’Europe », compte pourtant diverses associations et individus qui se sont engagés à faire de la dette publique une question politique où le choix refait irruption dans le discours.
Car la question du règlement de la dette touche bien à celle, plus large, de la démocratie. Si l’on ne veut pas que les élections s’appauvrissent en un choix de comptables, il faut pouvoir sortir du carcan idéologique et économique où l’Europe s’est laissée enfermer. Des instruments existent. À nous de nous en emparer.
- Pour en savoir plus : www.auditcitoyen.be