- Valérie Lootvoet,
directrice de l’Université des Femmes
Différences hommes-femmes ? Une question d’éducation avant tout !
Journaliste et sociologue de formation, Valérie Lootvoet est directrice de l’Université des Femmes. Elle s’intéresse avec nous à l’opposition entre l’inné et l’acquis dans les débats sur les rapports entre hommes et femmes.
Salut & Fraternité : Quand on parle des hommes et des femmes, deux discours s’opposent : d’un côté la nature et les différences biologiques irréductibles et, de l’autre, la culture et l’influence de la société…
Valérie Lootvoet : En général, l’approche naturaliste est la norme. Elle se base sur l’évidence : ça se voit de l’extérieur, que les hommes et les femmes sont différents. Cette approche se retrouve parfois – rarement – dans les discours féministes. Je pense notamment au courant essentialiste.
L’approche culturaliste, elle, ne nie pas les différences – bien sûr qu’elles existent – mais ne les attribue pas à une différence de nature, d’essence immuable. Ces différences biologiques sont mineures : si les hommes et les femmes se comportent à ce point différemment, c’est surtout le fruit de l’influence de la société.
Ces différences biologiques sont mineures : si les hommes et les femmes se comportent à ce point différemment, c’est surtout le fruit de l’influence de la société.
S&F : Sous quelle forme retrouve-t-on le plus souvent ce discours naturaliste ?
V.L. : Dans tous ces discours sur la complémentarité. Les hommes et les femmes seraient dans la vie quotidienne comme dans les relations sexuelles hétéros. Ils seraient « emboîtés » et plus ils « s’emboîteraient », plus ils vivraient en harmonie aussi bien en couple qu’en société.
Mais il s’agit d’une fausse évidence. Ces fameuses différences biologiques censées nous rendre complémentaires ont une influence minime sur notre vie. Les différences sociales ont un impact bien plus important. Et le fait qu’on n’éduque pas les filles et les garçons de la même façon suffit à produire ces différences. J’insiste sur le mot « produire ».
S&F : Ces discours naturalistes seraient plutôt conservateurs. Ils font notamment partie des discours de l’extrême droite, des mouvements masculinistes, de la Manif pour tous…
V.L. : Bien sûr. Si les différences sont innées, biologiques, « c’est comme ça » et personne n’a à changer, à se remettre en cause. Les idées conservatrices sont rassurantes et aller vers l’inconnu est toujours plus difficile.
S&F : Et qu’en est-il du côté scientifique ?
V.L. : Du côté des sciences « dures », la plupart des scientifiques s’accordent sur le fait que ces idées sont sans fondement. Dire qu’il y a un cerveau masculin et un cerveau féminin, c’est faux ! Il est impossible de reconnaître un homme d’une femme simplement à son cerveau.
Par ailleurs, les travaux de Catherine Vidal montrent que des petites filles qui jouent autant au ballon que les garçons développent des compétences spatiales et un sens de l’orientation comparables à celles des garçons. Mais on n’encourage pas les petites filles à jouer au ballon.
Du côté des sciences « dures », la plupart des scientifiques s’accordent sur le fait que ces idées sont sans fondement. Dire qu’il y a un cerveau masculin et un cerveau féminin, c’est faux ! Il est impossible de reconnaître un homme d’une femme simplement à son cerveau.
Si on apprend aux hommes et aux femmes des compétences différentes, ces compétences deviendront sexuées ! Ce n’est pas parce qu’un garçon a une meilleure perception spatiale qu’une fille qu’il joue au football. C’est l’inverse : à force de jouer au football, il améliore sa perception de l’espace.
Ceci dit, pour le grand public, ces conclusions sont généralement controversées. Que cela soit immuable arrange pas mal d’hommes et ce sont eux, aujourd’hui encore, qui ont la parole et le pouvoir de décision. Ce naturalisme permet de maintenir les inégalités : si les femmes sont multitâches « par essence », pourquoi ne serait-ce pas à elles de s’occuper à la fois des enfants, de leur foyer et de leur carrière ? Les hommes, monotâches « par nature », n’en seraient pas capables…
S&F : Que faire pour sortir de cette ornière ?
V.L. : Il faut enseigner, en discuter. Le naturalisme est presque une croyance irrationnelle. Le niveau d’éducation n’a rien à voir. Des gens y croient sans l’avoir décidé, parce que cela s’impose à eux. Plus on en parle, plus le public s’y intéresse, y réfléchit et plus ces croyances seront remises en cause.
En ce sens, l’anthropologie est un domaine précieux. La pluralité des cultures et des comportements à travers le monde montre qu’il est difficile de croire à UNE nature féminine et UNE nature masculine.
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