• Marco La Via
    Marco La Via
    co-réalisateur du documentaire Le Populisme au féminin
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

Le populisme au féminin : sus au féminisme !

Marco La Via partage sa vie entre la France et les États-Unis. Pendant ses études en jour­na­lisme, avec Hanna Ladoul et Matthieu Cabanes, il s’est lancé dans un projet de repor­tage qui a débou­ché sur Le popu­lisme au fémi­nin en 2012. À cette occa­sion, ils ont fait le tour de l’Europe des leaders popu­listes de droite au fémi­nin. Les entre­tiens avec ces dernières y montrent combien l’écart entre l’être et le paraître est impor­tant quand les popu­listes exploitent l’image fémi­niste et fémi­nine à des fins réactionnaires.


Salut & Frater­nité : Qu’est-ce qui vous a motivé à rencon­trer les têtes de liste fémi­nines de l’extrême droite ?

Marco La Via : En 2010, nous avons commencé nos études sur la Côte d’Azur où le Front Natio­nal avait réalisé des scores impres­sion­nants aux élec­tions régio­nales. Nous allions voter pour la première fois. Marine Le Pen effec­tuait alors sa percée dans les médias où elle était présen­tée comme une figure nouvelle par rapport à son père. Nous avons d’abord été à sa rencontre mais nous avons rapi­de­ment élargi le spectre à toutes les femmes leaders popu­listes en Europe.

Les femmes haut placées dans les partis d’extrême droite se servent toutes plus ou moins consciem­ment de leur genre. Elles le font pour atti­rer un élec­to­rat plus large et donner une image moins extrême que leurs collègues masculins.

S&F : Qu’avez-vous noté comme points communs ?

M.L.V. : Les femmes haut placées dans les partis d’extrême droite se servent toutes plus ou moins consciem­ment de leur genre. Elles le font pour atti­rer un élec­to­rat plus large et donner une image moins extrême que leurs collègues mascu­lins. En 2012 par exemple, avec Marine Le Pen, le Front Natio­nal a pour la première fois obtenu autant de vote d’électrices que d’électeurs. C’est vrai­ment inter­pel­lant parce que ce n’était pas le cas précé­dem­ment. Des études ont montré que, dix ans plus tôt, au premier tour des élec­tions prési­den­tielles de 2002, Jean-Marie Le Pen serait arrivé seule­ment troi­sième si le panel d’électeurs n’avait été que fémi­nin, et qu’il aurait été premier si le panel était exclu­si­ve­ment mascu­lin ! Il ne faut pas se faire d’illusions : les cadres fémi­nins d’extrême droite ne sont pas plus progres­sistes que les hommes. Le genre n’a pas d’influence sur cette ques­tion. Certaines sont mêmes plus conser­va­trices que leurs pairs mascu­lins. Et c’est bien cette image que nous avons voulu décons­truire dans notre film.

Siv Jensen en Norvège repré­sente une de ces têtes de l’extrême droite au fémi­nin. Derrière ce visage se cache cepen­dant les mêmes idées rétro­grades sur la condi­tion de la femme. CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Fremskrittpartiet

S&F : La ques­tion fémi­nine y gagne-t-elle dans les propo­si­tions d’extrême droite ?

M.L.V. : Aucune des leaders rencon­trées n’a plus de consi­dé­ra­tion pour les combats fémi­nistes que les hommes de leur forma­tion poli­tique. Il y a bien des mots qui changent, des expres­sions rema­niées. Marine Le Pen a ainsi choisi de modi­fier l’appellation de la propo­si­tion du Front Natio­nal de « salaire mater­nel » pour l’expression plus asep­ti­sée de « salaire paren­tal » mais le fond reste le même. Toutes les femmes que nous avons rencon­trées dans le cadre de ce repor­tage ont une posi­tion très conser­va­trice en regard de celle de leur pays. En Norvège, par exemple, où le droit des femmes est plus avancé que dans d’autres pays euro­péens, Siv Jensen est certai­ne­ment plus progres­siste que Marine Le Pen ou que Krisz­tina Morvai en Hongrie, mais elle l’est nette­ment moins que la moyenne norvégienne.

Aucune des leaders rencon­trées n’a plus de consi­dé­ra­tion pour les combats fémi­nistes que les hommes de leur forma­tion poli­tique. Il y a bien des mots qui changent, des expres­sions remaniées.

S&F : Nombre d’entre elles se reven­diquent pour­tant féministes…

M.L.V. : C’est une forme de « fémi­nisme » biaisé qui, évidem­ment, ne vise qu’à stig­ma­ti­ser l’Islam. Il s’agit plutôt d’une stra­té­gie de commu­ni­ca­tion qui aura d’autant plus de poids si elle est portée par des femmes. L’exemple le plus marquant pour nous est celui d’Anke Van dermeersch en Belgique. C’est évidem­ment un comble quand on connaît les posi­tions des partis d’extrême droite par rapport aux droits des femmes. Personne ne verra d’ailleurs jamais ces mêmes personnes défendre le droit à l’avortement ou la gratuité de la contraception.


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