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Philippe Allard
Les réseaux sociaux : un nouveau dialogue pour les politiques ?
Philippe Allard est chef de projet web. Il est entre autre chargé du site Internet de la Ville de Bruxelles et, par extension, de sa présence sur les réseaux sociaux. Il est l’auteur de « Gagner les élections avec Internet », paru aux éditions Edipro en juin 2012, dans lequel il a rassemblé ses conseils aux politiques en matière de communication sur la toile.
Salut & Fraternité : Les politiques s’emparent-ils des réseaux sociaux dans leur communication ?
Philippe Allard : La présence des politiques sur les réseaux sociaux et les messages qu’ils y véhiculent relèvent surtout du ressort de la posture. Aujourd’hui, les hommes et les femmes politiques ont généralement le sentiment qu’ils doivent absolument être présents sur les réseaux sociaux pour une question d’image. C’est souvent le fruit d’une pression de leurs proches ou de leurs équipes de collaborateurs. À l’inverse, certains d’entre eux refusent d’y toucher en mettant en évidence leur préférence pour la proximité ou le contact réel.

S&F : Qu’en est-il de ceux qui apparaissent uniquement au moment des élections ?
P.A. : La « twittosphère1 », par exemple, y est attentive. Quand un politique ouvre un compte Twitter™ au mois de juin précédant des élections, les utilisateurs cherchent les premières bourdes et jaugent la pertinence des messages. C’est d’ailleurs beaucoup plus confortable pour le politique qui y est actif en toute saison. Cependant, certains assument pleinement cette pratique en annonçant d’emblée qu’il s’agit bien, par exemple, d’une page Facebook™, d’un compte Twitter™ ou d’un blog2 dédié à sa campagne électorale. Les différentes communautés d’utilisateurs y sont d’ailleurs beaucoup plus réceptives.
S&F : Les réseaux sociaux ont-ils dès lors changé la façon de dialoguer entre les citoyens et les politiques ?
P.A. : Il y a effectivement des différences. Je pense que les réseaux sociaux apportent une relation un peu plus égalitaire entre les élus et les citoyens. Ces derniers ont la possibilité d’échanger avec eux et de les interpeller en personne. Si l’élu répond, les excès de langage sont rares. En comparant ce dialogue avec celui d’une permanence politique, les citoyens qui s’expriment via les réseaux sociaux ont moins une position de quémandeur que d’interlocuteur.
Mais il faut bien différencier les différentes plateformes que sont Facebook™, Twitter™ d’autres réseaux sociaux, professionnels notamment. Sur Facebook™, le politique a une relation plus légère. Il y parle de tout et de rien, il publie des images, il évoque ses sentiments… Sur Twitter™, l’intention est différente. Le nombre d’utilisateurs en Belgique est bien moindre. Le politique y est surtout présent pour toucher la presse ou les autres politiques. Cette plateforme lui permet de faire passer ses messages alors qu’on ne lui tend même pas le micro. Les autres réseaux sociaux, quels que soient leurs qualités, sont peu exploités quand le candidat risque de ne s’exprimer que devant un auditoire limité. Par contre, le recours aux réseaux sociaux comme LinkedIn™ et Viadeo™ permet d’exposer son parcours de formation et professionnel et d’ainsi se positionner.
(…) quand le citoyen a le sentiment de ne pas être entendu, il va s’exprimer, plus ou moins calmement, via les réseaux sociaux ou via la mise sur pied d’une page de dénonciation d’un dysfonctionnement. Et face à ces attitudes, les politiques belges réagissent.
S&F : Pendant leur mandat, des politiques usent-ils des médias sociaux pour nourrir leurs dossiers ?
P.A. : En Belgique, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas ou peu d’élan vers leur public en tant qu’expert. La démarche se situe plus au niveau de la réaction aux interpellations qu’ils reçoivent. Au niveau communal, des villes au Royaume-Unis ont souscrit à des plateformes qui permettent non seulement à la population de signaler des problèmes en ligne (voir : www.fixmystreet.com) mais aussi de voir l’avancement de leur prise en compte jusqu’à leur résolution par l’un ou l’autre niveau de pouvoir. Ici, on privilégie encore les méthodes traditionnelles que sont le courrier, le téléphone. Il n’y a pas encore de recours à des moyens d’interpellation qui répondent au besoin d’immédiateté et de suivi du « citoyen connecté ». Par contre ici, quand le citoyen a le sentiment de ne pas être entendu, il va s’exprimer, plus ou moins calmement, via les réseaux sociaux ou via la mise sur pied d’une page de dénonciation d’un dysfonctionnement. Et face à ces attitudes, les politiques belges réagissent.
S&F : Quelles sont les perspectives qui se dégagent dans la relation entre les politiques et les réseaux sociaux ?
P.A. : La question qui va se poser sera celle de la transparence totale et la difficulté pour les politiques de garder un jardin secret. En effet, il y a une volonté d’aller chercher des informations sur des candidats pour nuire, informer ou s’amuser. Un exemple récent montrait un candidat apparu dans un clip de rap critiqué pour véhiculer des clichés sexistes. On risque dès lors de voir une course à la recherche d’informations personnelles et un contrôle grandissant des données visibles, même dans un milieu restreint (les amis d’aujourd’hui ne sont pas obligatoirement ceux de demain). C’est la question de l’« e‑réputation » , à savoir l’image véhiculée sur Internet, qu’elle soit nourrie par les personnes elles-mêmes ou par d’autres via des commentaires, des photos, des vidéos ou des réflexions personnelles.
- Ndlr : la communauté des utilisateurs de Twitter™ (www.twitter.com). Twitter™ est un outil de réseau social et de microblogage qui permet à un utilisateur d’envoyer gratuitement de brefs messages, appelés tweets (« gazouillis »), sur l’internet, par messagerie instantanée ou par SMS. Ces messages sont limités à 140 caractères. (Source Wikipédia)