• Monique Weis
    Monique Weis
    chercheur qualifié du FRS-FNRS, Centre interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité (CIERL), Université Libre de Bruxelles

Le protestantisme à l’origine du libéralisme économique ? Le cas des États-Unis

Les Améri­cains sont-ils « capi­ta­listes », c’est-à-dire atta­chés au système du libé­ra­lisme écono­mique, parce qu’ils sont protes­tants ? Le sont-ils davan­tage que d’autres, que les Euro­péens par exemple, en raison de leur iden­tité religieuse ?

Comme tous les clichés histo­riques, cette affir­ma­tion comporte des éléments vrais, mais aussi des simpli­fi­ca­tions suscep­tibles de nour­rir bien des raison­ne­ments caricaturaux.

D’abord, ne perdons pas de vue que les États-Unis ne sont pas une nation intrin­sè­que­ment et majo­ri­tai­re­ment protes­tante. La popu­la­tion y est très diverse, y compris en termes d’appartenance confes­sion­nelle. Le libé­ra­lisme écono­mique peut certes être consi­déré comme un des piliers de la société améri­caine, mais cette atti­tude et les valeurs qui y sont liées ne sont pas l’apanage des protes­tants. Le prin­cipe qui est au cœur  de l’American Dream selon lequel la réus­site serait acces­sible à tous, par l’initiative person­nelle et par l’endurance au travail, a attiré des vagues succes­sives d’immigrés juifs, catho­liques, musul­mans et autres. Par ailleurs, le protes­tan­tisme améri­cain est lui-même fort diver­si­fié et les rapports à l’économie ne sont pas les mêmes d’une Église à l’autre.

Le prin­cipe qui est au cœur  de l’American Dream selon lequel la réus­site serait acces­sible à tous, par l’initiative person­nelle et par l’endurance au travail, a attiré des vagues succes­sives d’immigrés juifs, catho­liques, musul­mans et autres.

Mais quiconque s’intéresse de près aux États-Unis, au-delà des stéréo­types, ne peut que consta­ter que le travail est la colonne verté­brale de l’American Way of Life. Le travail et l’argent qui y est asso­cié. Le travail comme moyen de survie et comme porte d’accès à la société de consom­ma­tion, mais aussi le travail comme instru­ment de promo­tion sociale et d’épanouissement person­nel. L’argent comme récom­pense du travail et aussi comme preuve du mérite au travail. Cette philo­so­phie de vie, qui est à la fois une consé­quence et le fonde­ment même du système du libé­ra­lisme écono­mique, doit certai­ne­ment beau­coup aux concep­tions reli­gieuses des premiers colons améri­cains et des Pères Fonda­teurs des États-Unis. Or, ceux-ci étaient pour la plupart des dissi­dents anglais et écos­sais, Puri­tains ou Quakers, qui fuyaient les brimades de la part d’un protes­tan­tisme mains­tream beau­coup plus institutionnalisé.

À ses origines, la société améri­caine a donc été façon­née, ou du moins forte­ment inspi­rée, par les croyances et les valeurs des adeptes d’un protes­tan­tisme puri­fié et radi­cal, dont une des prin­ci­pales préoc­cu­pa­tions était la ques­tion de la grâce divine, du salut indi­vi­duel et de la prédestination.

Les consi­dé­ra­tions clas­siques du socio­logue alle­mand Max Weber sur les liens étroits entre protes­tan­tisme et capi­ta­lisme (cf. son ouvrage L’Éthique protes­tante et l’esprit du capi­ta­lisme qui date de 1904–1905) ont fait couler beau­coup d’encre et suscité de nombreuses critiques souvent fondées. Il est indu­bi­table que les thèses de Weber ne valent pas de la même manière pour tous les types de protes­tan­tismes. En fait, elles s’avèrent surtout inté­res­santes pour l’étude du capi­ta­lisme tel qu’il s’est déve­loppé aux États-Unis. Elles nous livrent en quelque sorte la clé qui permet de mieux comprendre le rôle essen­tiel joué par le travail person­nel d’une part, et par sa juste récom­pense d’autre part, dans le libé­ra­lisme écono­mique à l’américaine.

À ses origines, la société améri­caine a donc été façon­née, ou du moins forte­ment inspi­rée, par les croyances et les valeurs des adeptes d’un protes­tan­tisme puri­fié et radi­cal, dont une des prin­ci­pales préoc­cu­pa­tions était la ques­tion de la grâce divine, du salut indi­vi­duel et de la prédestination.

En effet, Max Weber a démon­tré que le protes­tan­tisme d’obédience puri­taine s’enracine dans une forte légi­ti­ma­tion reli­gieuse du travail. Calvin avait déjà condamné les oisifs comme des para­sites : à ses yeux, ne pas travailler revient à ne pas rendre hommage à Dieu ; gagner de l’argent n’est pas un mal en soi, du moment que ces gains sont bien utili­sés. Les courants de la Réforme radi­cale, dont le puri­ta­nisme et le quake­risme qui ont tant contri­bué à la fonda­tion des États-Unis et à leur émer­gence comme puis­sance écono­mique, devaient appro­fon­dir cette idée. Ils ont fait de la notion de métier (Beruf), asso­ciée à celle de voca­tion (Beru­fung), le socle de leur éthique sociale. Selon eux, le bon chré­tien sert Dieu en exer­çant le métier auquel il a été appelé ; si son travail lui apporte des richesses, il doit consi­dé­rer celles-ci comme un signe d’élection, comme la mani­fes­ta­tion ici-bas de la grâce divine.

< Retour au sommaire