• Giovanna Ingorgia
    Giovanna Ingorgia
Propos recueillis par Dorothy Bocken

Réinsérer en développant la citoyenneté et l’esprit critique

Depuis 20 ans, le Centre Liégeois de Formation (CLF) propose de multiples remises à niveau permettant à des travailleurs sans emploi peu qualifiés d’accéder à une formation qualifiante qui pourra déboucher sur un emploi. Chaque année, près de 250 stagiaires participent ainsi aux formations organisées par l’association.

Créée en 1991 pour offrir une structure laïque progressiste dans le domaine de l’insertion professionnelle, l’association s’est, dès le départ, singularisée par l’aspect « citoyenneté » de ses cours visant à développer l’autonomie et l’esprit critique des stagiaires.

Depuis lors, l’association, qui devenue Organisme d’Insertion socioprofessionnelle (OISP) agréée par la Région wallonne, a grandi et s’est diversifiée, sans pour autant oublier ses principes fondateurs. Car ces 20 ans d’existence lui procurent un certain recul sur l’évolution de la société qui a incontestablement influencé tant l’état d’esprit du public qui fréquente les formations, que la gestion de l’ASBL.

Nous avons rencontré Giovanna Ingorgia, coordinatrice administrative et financière du Centre Liégeois de Formation, pour en parler.


Entretien avec

Giovanna Ingorgia

« La resocialisation nécessaire est plus importante qu’auparavant »

S&F : Qu’est-ce qui vous diffé­ren­cie des autres centres de formation ?

Giovanna Ingor­gia : Tout d’abord, notre spéci­fi­cité laïque qui vise à auto­no­mi­ser les personnes, en les formant sur les matières de base tout en les ouvrant sur la société dans laquelle elles vivent. Déve­lop­per l’esprit critique est essen­tiel. Notre but final est de remettre ces personnes dans le schéma où elles (re)deviennent actrices de leur vie.

S&F  : Le Centre est reconnu Orga­nisme d’Insertion socio­pro­fes­sion­nelle (OISP). De quoi s’agit-il ?

G.I. : Un OISP est un orga­nisme qui forme des personnes éloi­gnées de l’emploi et faible­ment scola­ri­sées dans diffé­rentes matières afin de passer à l’étape suivante de leur parcours d’insertion, à savoir l’emploi ou la forma­tion quali­fiante. Le CLF a donc axé ses forma­tions sur le fran­çais, les mathé­ma­tiques, la vie sociale, l’alphabétisation, le fran­çais langue étran­gère, la reprise de confiance en soi et l’initiation à l’informatique.

S&F  : Le Centre a 20 ans d’existence. Avez-vous remar­qué une évolu­tion par rapport à la forma­tion des chômeurs ? Le profil du stagiaire d’il y a 20 ans est-il le même qu’aujourd’hui ?

G.I. : Bien sûr que non. Rien que sur les 7 dernières années, nous avons constaté que, malheu­reu­se­ment, le niveau de base des stagiaires a forte­ment baissé. Nous avons égale­ment réalisé que la reso­cia­li­sa­tion néces­saire dans tout parcours de forma­tion est elle aussi beau­coup plus impor­tante qu’auparavant.

S&F  : Qu’entendez-vous par resocialisation ?

G.I. : Les deman­deurs d’emploi ont évidem­ment des profils diffé­rents : il peut s’agir de personnes qui n’ont plus d’emploi mais égale­ment de personnes qui n’en ont jamais eu et dont les parents sont égale­ment des chômeurs de longue durée. La problé­ma­tique doit donc être consi­dé­rée dans son ensemble, puisqu’elle vise la personne dans sa vie quoti­dienne. Pour faire court, citons la perte des réflexes comme se lever le matin, arri­ver à l’heure, avoir une acti­vité régu­lière, trou­ver ou retrou­ver suffi­sam­ment de confiance en soi, et ce, parfois, malgré des parcours de vie diffi­ciles. Au CLF, nous travaillons de façon globale et nous enca­drons la personne dans le cadre d’un suivi social impor­tant. Bien sûr, le Centre ne peut pas répondre à toutes les problé­ma­tiques. Nous redi­ri­geons alors la personne vers des services compé­tents. Mais l’évolution est égale­ment liée au manque d’emploi. Suivre une forma­tion quali­fiante en sachant qu’à l’issue de celle-ci, il y aura un emploi à la clé, ce n’est pas pareil que de suivre une forma­tion qui ne mènera peut-être pas à l’emploi visé.

Un OISP est un orga­nisme qui forme des personnes éloi­gnées de l’emploi et faible­ment scola­ri­sées dans diffé­rentes matières afin de passer à l’étape suivante de leur parcours d’insertion, à savoir l’emploi ou la forma­tion quali­fiante. Le CLF a donc axé ses forma­tions sur le fran­çais, les mathé­ma­tiques, la vie sociale, l’alphabétisation, le fran­çais langue étran­gère, la reprise de confiance en soi et l’initiation à l’informatique.

S&F  : Si l’on comprend bien, la forma­tion profes­sion­nelle est, dans certains cas, loin d’être suffisante ?

G.I. : Ce n’est pas suffi­sant mais, dans le secteur de l’OISP, il y a toute une série de forma­tions basées sur des objec­tifs plus cultu­rels. Le CLF garde ses missions d’organisme de forma­tion pré quali­fiante, c’est-à-dire de remise à niveau, mais nous allons au-delà en propo­sant toute une série d’activités citoyennes visant à déve­lop­per l’esprit critique et l’autonomie de pensée. C’est là notre ancrage laïque qui nous diffé­ren­cie d’autres centres : amener le stagiaire à s’intéresser et à se posi­tion­ner dans le monde dans lequel il vit.

S&F  : Comment le CLF se situe-t-il par rapport à la chasse aux chômeurs ? Est-ce que cela rejaillit sur votre gestion et votre travail ?

G.I. : Les ASBL ont dû s’adapter à toute une série de forma­li­tés admi­nis­tra­tives. Les objec­tifs péda­go­giques de départ et les exigences struc­tu­relles, poli­tiques et écono­miques, ne sont pas toujours faciles à conci­lier. L’aspect péda­go­gique reste évidem­ment primor­dial : nous sommes avant tout un centre de formation.

Nous avons donc dû miser sur une ratio­na­li­sa­tion  pour obte­nir des résul­tats à la fois quali­ta­tifs et quan­ti­ta­tifs : nos subven­tions dépendent en effet du nombre d’heures/stagiaires prestés.

S&F  : Gardez-vous contact avec les stagiaires sortants et avez-vous une idée du pour­cen­tage de personnes qui retrouvent un travail ?

G.I. : Oui, nous essayons toujours de revoir nos stagiaires dans les 6 mois qui suivent la forma­tion. Pour finir sur une note posi­tive, les chiffres varient évidem­ment d’une année à l’autre, mais nous pouvons dire que 20% d’entre eux conti­nuent en se diri­geant vers une forma­tion pré quali­fiante et qu’entre 10 et 15% des stagiaires retrouvent un emploi.

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