• Chris Paulis
    Chris Paulis
    docteure en Anthropologie à l’ULiège

Le rite est-il moderne ?

Depuis une ving­taine d’années, cette ques­tion appa­raît de manière récur­rente, notam­ment par rapport à la moder­nité des cultures nord-occi­den­tales, à la libé­ra­tion partielle de la vie quoti­dienne vis-à-vis des reli­gions et du sacré très ritua­li­sés, à la place et à l’expression de la laïcité, aux apports des cultures internes et de celles appor­tées par l’immigration. Les rites sont obso­lètes, les rites n’ont plus de sens ou l’ont perdu au cours des siècles, ils sont inutiles, cela n’a plus qu’une valeur commer­ciale, ou encore ils n’existent plus… Tout se dit.

Ainsi les rites sont agres­sés, bous­cu­lés, déni­grés, inter­pel­lés, ques­tion­nés. Et d’autant plus exis­tants, reven­di­qués et résis­tants. Même si leur sens n’est pas connu par tous ceux qui les pratiquent, si leurs rituels ont changé, si leurs fastes ont dimi­nué. Ainsi les céré­mo­nies de mariage, enter­re­ments, baptêmes, Bar Mitz­vah, céré­mo­nie de circon­ci­sion, commu­nions privée et solen­nelle, fêtes laïques, confir­ma­tion, fian­çailles, bizu­tages, Shab­bat, Aïd el Adha ou Aïd-el-Kébir (la fête du mouton), entrée en Maçon­ne­rie, entrée en prêtrise, entrée chez les moniales, anni­ver­saires divers, remise de diplômes de fin d’études, Pâques, Hallo­ween, Tous­saint, Fête des Morts, Saint-Nico­las, Noël, Kwanza, Réveillon du 31 décembre, Nouvel An, Hanouka, Carna­val, Fête Natio­nale, et bien d’autres, existent, sont par le monde. Jours parti­cu­liers. Remar­quables au milieu des autres jours de l’année, ils sont les repré­sen­tants de ferveurs parta­gées par un groupe cultu­rel dont ils sont des signifiants.

(…) les rites sont agres­sés, bous­cu­lés, déni­grés, inter­pel­lés, ques­tion­nés. Et d’autant plus exis­tants, reven­di­qués et résis­tants. Même si leur sens n’est pas connu par tous ceux qui les pratiquent, si leurs rituels ont changé, si leurs fastes ont diminué.

Ces événe­ments sont parti­cu­liers parce qu’ils font partie des rites cultu­rels d’un groupe socio­cul­tu­rel. Obser­vés par une majo­rité d’individus appar­te­nant aux mêmes groupes, ils font partie de leur histoire, de leurs tradi­tions, de leurs coutumes. Leur clas­si­fi­ca­tion et leur distinc­tion se font de multiples manières. Sacrés (concer­nant prin­ci­pa­le­ment le reli­gieux, la messe, la béné­dic­tion, le pèle­ri­nage à la Mecque), païens (le Carna­val, la Chan­de­leur) ou profanes (les fêtes laïques, la remise des diplômes, la consé­cra­tion de danseur étoile). Si une partie des rites ‑les rites ances­traux- sont là pour inscrire les êtres humains dans une cosmo­go­nie, et qu’ils sont asso­ciés, donc dépen­dants direc­te­ment des saisons et des forces de la nature (le Carna­val, la Chan­de­leur, Hallo­ween), les rites récents eux ne sont pas des répon­dants au fonc­tion­ne­ment du monde mais au fonc­tion­ne­ment des êtres humains. Ce qui signi­fie que ce n’est pas la logique de la nature qui est déter­mi­nante mais le pouvoir et la puis­sance des hommes (Mensche), la produc­ti­vité, la perpé­tuité, la jeunesse. Ainsi par exemple les rites des céré­mo­nies de couron­ne­ment, de mariage, de miss en tout genre. Ce qui implique égale­ment que les êtres humains ont besoin d’avoir des marqueurs d’appartenance, de ressem­blances, de diffé­ren­cia­tion des Autres, les étran­gers, ceux qui ne partagent pas les mêmes rites.

Rites de passage, rites d’initiation, rites d’appartenance, rites d’accordailles, rites de nais­sance, rites de mort, rites d’intronisation, quel que soit le type de rites et la caté­go­rie dans laquelle on le range (…), ils ont en commun, outre les divers éléments évoqués au long des lignes précé­dentes, le fait d’être partagé par plusieurs personnes en même temps, d’avoir une partie festive qui permet le relâ­che­ment, l’humour, l’espoir, le rire, (…), et dans laquelle se retrouvent tout autant la détente, l’amusement, et la convivialité.

Les rites parti­cipent d’une commu­nauté, certains y sont acteurs passifs, d’autres acteurs actifs ; les personnes célé­brées, remer­ciées, féli­ci­tées sont mises en évidence et entou­rées par tout le groupe. Cette façon de faire est intem­po­relle. Les rites ont une forme, des rituels, un sens. Que tous connaissent ou doivent connaître, afin que le rite puisse se réali­ser. Devant être les mêmes à chaque fois, afin que cela soit un rite. La struc­tu­ra­tion de la collec­ti­vité est un besoin et une néces­sité, le respect des rites en fait partie. Et si la profa­na­ti­sa­tion de certains rites jadis sacrés se multi­plie, notam­ment par la déchris­tia­ni­sa­tion et la laïci­sa­tion des socié­tés nordoc­ci­den­tales peu tradi­tion­nelles et très indi­vi­dua­listes, la créa­tion de nouveaux rites ou la revi­ta­li­sa­tion de rites plus anciens démontrent bien le rôle socia­li­sa­teur que remplit le rite. Rites de passage, rites d’initiation, rites d’appartenance, rites d’accordailles, rites de nais­sance, rites de mort, rites d’intronisation, quel que soit le type de rites et la caté­go­rie dans laquelle on le range (selon les clas­si­fi­ca­tions choi­sies, ils peuvent appar­te­nir à plusieurs types à la fois, par exemple fami­liaux et de nais­sance), ils ont en commun, outre les divers éléments évoqués au long des lignes précé­dentes, le fait d’être partagé par plusieurs personnes en même temps, d’avoir une partie festive qui permet le relâ­che­ment, l’humour, l’espoir, le rire, – après l’épreuve ou l’élément sérieux ou lourd parfois –, et dans laquelle se retrouvent tout autant la détente, l’amusement, et la convi­via­lité. Civils, poli­tiques, reli­gieux, les rites scellent des manières d’être, des pratiques de vie et des tradi­tions. Le rite est moderne ou plutôt il n’est ni moderne ni ancien, il n’a pas d’âge. Pas de mode. Il est indis­pen­sable à la cohé­sion d’un groupe ; il fait partie de l’histoire des êtres humains, le rite rythme la vie des indi­vi­dus, les inscrit dans une histoire commune, utilise un langage commun, leur fait parta­ger un même passé, les lie les uns aux autres et renforce leur appar­te­nance collec­tive. Ces réali­tés et ces fonc­tions sont et seront toujours néces­saires à la vie des indi­vi­dus, à la survie d’un groupe, aux besoins de recon­nais­sance et d’appartenance indi­vi­duelle et à la vie en collectivité.

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