• Anne Fivé
    directrice juridique du Centre d’Action laïque

LE REPORT DU DÉBAT PARLEMENTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI MAHOUX, DEFRAIGNE ET CONSORTS SUR LA SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L’ÉTAT. UNE ERREUR D’APPRÉCIATION ?

Il ne se passe pas un jour sans que les médias n’évoquent les tensions qui existent entre la reli­gion et le poli­tique tant en Belgique, en Europe que dans le monde. Quelques exemples récents en sont la démons­tra­tion : la déci­sion prise par des femmes poli­tiques d’extérioriser leur appar­te­nance reli­gieuse, le débat lancé, à défaut de discus­sions au niveau natio­nal, par la très consen­suelle Ville de Namur sur l’extériorisation des signes d’appartenance reli­gieuse par les agents commu­naux et dans les écoles de la ville, l’affaire des cruci­fix dans les écoles publiques italiennes1 ou encore la demande des évêques espa­gnols d’annulation immé­diate de la toute nouvelle loi espa­gnole sur l’interruption de gros­sesse, compa­rée par ces derniers à un « permis de tuer des enfants ».

Cette résur­gence du reli­gieux allant jusqu’à vouloir faire primer certains pres­crits reli­gieux sur nos lois n’est pas un phéno­mène nouveau. Conscient de cette évolu­tion préoc­cu­pante, le Conseil Central Laïque a soutenu acti­ve­ment, depuis plusieurs années, la propo­si­tion de loi « visant à appli­quer la sépa­ra­tion de l’état et des orga­ni­sa­tions et commu­nau­tés reli­gieuses et philo­so­phiques non confes­sion­nelles », en d’autres mots à affir­mer de manière expli­cite la neutra­lité de l’état fédé­ral. La propo­si­tion de loi fut d’abord dépo­sée par Pierre Galand en 2007 et ensuite redé­po­sée par les séna­teurs Mahoux, Defraigne et consorts. Cette propo­si­tion, rappe­lons-le, n’a rien de révo­lu­tion­naire. Elle énonce cinq règles élémen­taires d’organisation de l’état fédé­ral qu’il convien­drait d’étendre aux enti­tés fédé­rées, à savoir que la loi civile a la primauté sur les pres­crits reli­gieux2, les céré­mo­nies publiques offi­cielles orga­ni­sées par l’état fédé­ral doivent être exemptes de toute réfé­rence à une concep­tion reli­gieuse ou philo­so­phique (exit par exemple les Te Deum offi­ciels), l’ordre proto­co­laire doit donner la préséance aux corps consti­tués et aux auto­ri­tés civiles et les repré­sen­tants des cultes et philo­so­phies non confes­sion­nelles ont un même rang proto­co­laire, les bâti­ments publics fédé­raux doivent être neutres  sauf bien entendu lorsqu’il s’agit d’un musée ou d’une expo­si­tion et les agents de la fonc­tion publique fédé­rale ne peuvent affi­cher, dans l’exercice de leurs fonc­tions, une quel­conque mani­fes­ta­tion exté­rieure de toute appar­te­nance philo­so­phique, reli­gieuse, commu­nau­taire ou partisane.

Elle vient pour­tant de connaître un bien triste sort. Le sénat a décidé, fin 2009, de ne pas enta­mer le débat parle­men­taire sur son contenu et de repor­ter son examen sine die, par suite d’un blocage poli­tique émanant prin­ci­pa­le­ment du CD&V et du CDH.

Sépa­rer le reli­gieux du poli­tique ne semble mani­fes­te­ment plus dans l’air du temps pour certains parle­men­taires voire dérangeant…

Or, comme nous nous plai­sons à le lire dans le récent article rédigé par Vincent de Coore­by­ter3, notre Consti­tu­tion belge « est profon­dé­ment répu­bli­caine dans son orga­ni­sa­tion géné­rale, (…). Elle radi­ca­lise la Décla­ra­tion des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en profes­sant que « Tous les pouvoirs émanent de la nation », ce qui exclut toute source divine, et en ajou­tant qu’ils « sont exer­cés de la manière établie par la Consti­tu­tion », laquelle n’autorise aucune forme d’immixtion du reli­gieux dans le fonc­tion­ne­ment de la vie poli­tique ou dans l’organisation de l’état. »

La propo­si­tion de loi Mahoux, Defraigne et consorts n’a, à notre sens, pas d‘autre objec­tif que de suppri­mer toute forme d’immixtion du reli­gieux dans l’organisation de l’état fédéral.

Tout en recon­nais­sant l’importance dans nos socié­tés du droit à la diffé­rence et à la diver­sité, si l’on veut mieux vivre ensemble demain, nous pensons qu’il est urgent de défi­nir, pour les insti­tu­tions et services publics ainsi que pour les écoles, la ligne de partage entre le reli­gieux et le poli­tique4, garan­tis­sant ainsi au passage leur impar­tia­lité et une réelle égalité entre les religions.

Cela ne signi­fie évidem­ment pas que ces règles de stricte neutra­lité des insti­tu­tions publiques soient trans­po­sables ipso facto dans l’espace public (la rue, les entre­prises, etc). C’est, à notre sens, la seule voie qui permette, dans le respect des acquis de la démo­cra­tie, de main­te­nir la paix sociale, de garan­tir la liberté de conscience et de reli­gion, l’apprentissage de la citoyen­neté tout en tendant vers plus d’égalité et d’émancipation pour chacun.


  1. La Cour euro­péenne des droits de l’Homme (CEDH) vient d’accepter d’examiner en appel un recours de l’Italie qui avait été condam­née pour la présence de cruci­fix dans les salles de classe des écoles publiques, dans le cadre de l’affaire Lautsi contre Italie
  2. Concrè­te­ment, cela implique par exemple qu’un méde­cin puisse sans discus­sion possible faire préva­loir l’obligation d’assistance à personne en danger visée par l’article 422bis du Code pénal même en cas de décla­ra­tion de volonté écrite d’un témoin de Jého­vah s’opposant à toute trans­fu­sion sanguine.
  3. Retour sur une confes­sion par Vincent de Coore­by­ter, Direc­teur géné­ral du Centre de recherche et d’information socio-poli­tiques (Crisp), publié dans le jour­nal Le soir du mardi 2 mars 2010, p. 17
  4. idem
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