• Pierre-Arnaud Perrouty
    Pierre-Arnaud Perrouty
    directeur de la Cellule Europe et International du Centre d’Action Laïque

UNION EUROPÉENNE : LES ÉGLISES EN VEULENT (ENCORE) PLUS

Avec Herman Van Rompuy, qui ne fait pas mystère de sa foi, dési­gné comme président du Conseil euro­péen et Jerzy Buzek, président du Parle­ment euro­péen depuis l’été 2009, qui déclare que « la foi chré­tienne a une impor­tance fonda­men­tale pour moi et pour l’identité et le déve­lop­pe­ment futurs de l’Europe », deux des trois plus hauts postes de l’Union euro­péenne sont occu­pés par des catho­liques affi­chés. Quant au président de la Commis­sion, José Manuel Barroso, il n’est certes pas un catho­lique fervent mais, en fin poli­tique, sait se montrer très conci­liant avec les églises. Ces éléments sont-ils signi­fi­ca­tifs de la place des églises au sein des insti­tu­tions euro­péennes ? Les laïques doivent-ils s’inquiéter ?

Cette situa­tion n’est pas nouvelle. Dès l’origine, les églises se sont inté­res­sées à la construc­tion euro­péenne : elles savaient que leur avenir s’y jouait en partie. Bien que ces églises aient entre­tenu des contacts privi­lé­giés avec un certain nombre de person­na­li­tés euro­péennes de premier plan – dont Jacques Delors –, c’est en 1997 qu’elles ont réussi à faire inscrire leur objec­tif dans les textes. Une Décla­ra­tion annexée au Traité d’Amsterdam préfi­gu­rait ce que le Traité de Lisbonne vient de péren­ni­ser : un dialogue « ouvert, trans­pa­rent et régu­lier » entre l’Union et les églises et les orga­ni­sa­tions non-confes­sion­nelles. à la demande de romano Prodi, président de la Commis­sion de l’époque et autre catho­lique déclaré, les églises ont élaboré une note en 2002 où elles listaient ce qu’elles atten­daient des instances euro­péennes. Rele­vons notam­ment : (I) une procé­dure de consul­ta­tion qui permette aux églises de faire connaître leur point de vue sur les projets légis­la­tifs, (II) des sémi­naires régu­liers entre les églises et les conseillers du président de la Commis­sion, (III) des rencontres avec le président, (IV) des sessions de travail sur tout sujet pour lequel les églises marquent leur inté­rêt et (V) un « petit » (on relè­vera le souci de paraître modeste) « bureau de liai­son » au sein des services de la Commission.

Herman Van Rompuy, président du Conseil euro­péen, était au côté du Cardi­nal Danneels lors de la présen­ta­tion de ses mémoires, Confi­dences d’un Cardi­nal, dont il est le préfa­cier. © Belga Picture

On pour­rait penser ces demandes exagé­rées. À l’exception du dernier point, le bureau physique, les églises les ont pour­tant toutes obte­nues. Il faut encore y ajou­ter une rencontre avec chaque nouvelle prési­dence tour­nante du Conseil, tous les six mois et une rencontre annuelle entre les diri­geants euro­péens et les prin­ci­pales reli­gions sur des thèmes aussi variés que la dignité humaine (2007), le chan­ge­ment clima­tique (2008) ou la crise écono­mique et finan­cière (2009). Et l’histoire ne s’arrête pas en si bon chemin. À peine le Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, le président de la Confé­rence des Églises euro­péennes (Confe­rence of Euro­pean Churches, CEC) souli­gnait que ces contacts sont une étape mais ne suffisent pas pour établir un « dialogue ouvert, trans­pa­rent et régu­lier ». De son côté, la Commis­sion des Episco­pats de la Commu­nauté euro­péenne (COMECE) a récem­ment déclaré vouloir élar­gir ces contacts rappro­chés au Conseil et au Parlement.

Pour faire face à cette situa­tion, les laïques commencent à s’organiser. C’est dans cette optique que le Centre d’Action Laïque apporte un soutien signi­fi­ca­tif à la Fédé­ra­tion huma­niste euro­péenne (FHE).

En marge de ces manœuvres insti­tu­tion­nelles, les églises mènent un travail de lobby intense au Parle­ment euro­péen. La récente affaire Lautsi (condam­na­tion de l’Italie par la Cour euro­péenne des droits de l’homme pour la présence de cruci­fix dans les écoles publiques) l’illustre bien : peu de temps après l’arrêt, des parle­men­taires dépo­saient une décla­ra­tion écrite « sur la liberté d’exposition dans les lieux publics de symboles reli­gieux repré­sen­ta­tifs de la culture et de l’identité d’un peuple ». Dans le même temps, des euro­dé­pu­tés dépo­saient dans tous les groupes du Parle­ment une réso­lu­tion « pour la défense du prin­cipe de subsi­dia­rité » pour­sui­vant le même objec­tif. Il s’agissait ni plus ni moins d’un détour­ne­ment de la notion car si le prin­cipe de subsi­dia­rité se justi­fie quand il s’agit de déci­der quel niveau de pouvoir est le mieux à même d’agir, il n’a pas de sens quand les droits de l’Homme sont en jeu. Par défi­ni­tion, les droits de l’Homme ne peuvent dépendre des tradi­tions et des cultures des états membres. Ces réso­lu­tions ont fort heureu­se­ment été reti­rées mais le débat resur­gira sans aucun doute.

Pour faire face à cette situa­tion, les laïques commencent à s’organiser. C’est dans cette optique que le Centre d’Action Laïque apporte un soutien signi­fi­ca­tif à la Fédé­ra­tion huma­niste euro­péenne (FHE). Par ailleurs, la Plate-forme du Parle­ment euro­péen pour la laïcité en poli­tique réunit des euro­dé­pu­tés et des asso­cia­tions des diffé­rents pays sensibles à ces ques­tions. Un début d’organisation qui est encore loin de l’efficacité des Eglises mais qui consti­tue déjà un réseau d’alerte efficace.

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