- Christine Defraigne,
présidente du Sénat - Philippe Mahoux,
président au sein de l’asbl Réalisation, Téléformation et Animation
Christine Defraigne : « L’état doit conserver sa neutralité »
Dans un entretien accordé à nos confrères du centre d’Action Laïque du Brabant Wallon, Christine Defraigne et Philippe Mahoux reviennent sur le projet de loi sur la neutralité de l’Etat, abandonné en décembre dernier (voir texte d’Anne Fivé).
Christine Defraigne : « L’état doit conserver sa neutralité »
Quelles sont à votre avis les raisons qui ont conduit au report de la proposition de loi ?
La raison officielle de son report est la tenue simultanée des assises de l’interculturalité, mais je pense que la raison est tout autre. Certains en ont fait une présentation dévoyée et extrême qui ne correspondait pas du tout à son contenu. il y avait probablement une volonté politique sous-jacente. La proposition a été torpillée avant même qu’elle ne puisse être discutée par le journal flamand « De standaard » que l’on sait proche du CD&V. Ce qui m’a aussi grandement surprise, c’est la rapidité avec laquelle certains cosignataires ont éliminé, voire renié, leur signature. Ce n’était jamais qu’une proposition qui avait le mérite de poser le débat.
La proposition a‑t-elle été caricaturée pour éviter un débat sensible et difficile ?
Certains ont voulu interpréter cette loi comme étant une stigmatisation de la religion catholique, comme un geste de « bouffeurs de curés », mais il ne s’agit pas du tout de cela. Il faut pouvoir parler de ces questions en ce début de 21e siècle qui voit le retour du religieux et de religions qui sont plus prégnantes dans notre société. Les détracteurs ont même été jusqu’à affirmer que nous voulions enlever les croix des cimetières. Il ne s’agit évidemment pas du tout de cela. Il s’agissait simplement d’enlever les références religieuses dans les parties communes des cimetières. Si nous ne pouvons tenir un débat intelligent et serein sur de telles questions, il est à craindre que nous aboutissions à des votes de rejet comme cela a été le cas en suisse avec la votation contre les minarets.
L’aspect séparation des églises et de l’état sera-t-il abordé lors de ces assises ?
J’ai l’impression que cet aspect des choses ne sera pas abordé comme tel, pourtant c’est un élément important. Il faut pouvoir avoir des discussions sans tabou sur des choses telles que le port du voile dans les administrations par exemple. La réaffirmation de la séparation des églises et de l’état est également importante. Je ne vise pas une religion en particulier, mais les religions. L’état doit conserver sa neutralité.
Qu’en est-il de la neutralité de la fonction publique ?
La réaffirmation de la neutralité et de l’impartialité de l’état est primordiale. Tous les citoyens doivent pouvoir être accueillis, quelle que soit leur origine. Ils n’ont pas à savoir quelles sont les convictions philosophiques de l’agent administratif qui les accueille. La fonction publique a un devoir de neutralité. La liberté religieuse est garantie et protégée par notre Constitution, mais en même temps, elle est affaire privée. La séparation des églises et de l’état est la meilleure garantie pour un bon fonctionnement de notre démocratie. Lorsque le religieux s’immisce dans la sphère publique, à terme il conduira vers un avilissement des libertés individuelles. On peut aussi légitimement se poser la question de savoir si des événements qui marquent et ponctuent la vie d’un état, le Te Deum par exemple, doivent avoir une connotation religieuse.
Philippe Mahoux : « La proposition de loi a été caricaturée »
Que signifie pour vous, de manière concrète, la séparation de l’église et de l’état ? Ne faudrait-il par parler de séparation des églises et de l’état ?
Il faut parler bien entendu de la séparation des églises et de l’état. Cela signifie que l’état est neutre, représentant la collectivité et que les églises, cristallisation et associations d’adhésions individuelles relèvent de la sphère privée.
Que reste-t-il à faire pour que cette séparation soit totalement accomplie en Belgique ? Beaucoup de dossiers éthiques à connotation religieuse (avortement et euthanasie par exemple) ont déjà passé la rampe parlementaire, il est vrai avec certaines difficultés. Quels sont les dossiers qui posent encore problème ?
Au-delà de l’aspect symbolique de la préséance octroyée à certains représentants d’un culte en particulier, préséance contraire au principe de neutralité, par-delà l’existence de cérémonies religieuses à qui l’état accorde une signification universelle (au nom de tous), le problème le plus important me semble être l’inadéquation entre l’offre et la demande. Les lois sur l’interruption de grossesse, sur l’euthanasie ont ouvert un espace de liberté avec certaines balises, assorties de la clause de conscience. L’organisation des soins en Belgique a pour conséquence que de nombreuses demandes ne peuvent être satisfaites en raison même du caractère philosophique de nombreuses institutions (hôpitaux, maisons de repos, soins à domicile) il faut donc rappeler l’importance et la spécificité du service public en matière de santé, et inclure cette réflexion dans la démarche de bassins de soins. Il reste un chemin à parcourir sur le plan symbolique qui n’est pas sans importance. On avance.
Pourquoi avoir accepté de reporter la proposition de loi en raison des assises de l’interculturalité ?
Le cheminement d’une proposition de loi, comme celle sur la neutralité de l’état épouse souvent les méandres, des remous sociétaux et des majorités politiques. Sans me détourner de l’objectif final et cela avec détermination, il me parait raisonnable de permettre à des assises extraparlementaires mais organisées par le gouvernement de traiter du problème. J’éprouve une très grande satisfaction d’avoir contribué à inscrire dans de nombreuses lois sur le respect des choix individuels (interruption volontaire de grossesse, euthanasie, mariage des gays, procréation médicalement assistée, lois anti-discrimination et recherche médicale). Ce sont ces lois qui sont, chaque jour, déterminantes pour nos concitoyen(ne) s. à ce propos, je m’en voudrais de ne pas dénoncer la caricature qui a été faite de la proposition de loi sur la neutralité de l’état, avec de la part de certains la volonté délibérée de nuire. Il n’a jamais été question, bien sûr, d’interdire les croix sur les tombes, encore moins d’entraver la libre expression de ses convictions pour peu qu’elles soient démocratiques. C’est cet attachement à la liberté individuelle qui détermine que l’espace et l’autorité publics doivent être neutres de telle manière à ce que chaque individu, chaque groupe puisse s’y sentir représenté.
Une conception laïque de l’état, telle qu’elle est vécue en France, est-elle concevable chez nous ? D’autres formes vous agréent-elles ?
La « laïcité française », celle qui dans sa constitution établit le principe de laïcité de l’Etat ne met pas à l’abri des dérives, des interprétations (En 2007, Nicolas Sarkozy déclarait que, dans la transmission des valeurs, l’instituteur ne pourrait jamais remplacer le curé). L’inscription de la laïcité dans la constitution a le mérite que la laïcité est opposable à toute action, législation, intervention qui ne la respecterait pas. Mais contrairement à la reconnaissance de la laïcité en Belgique, le système français ne permet pas à la laïcité d’être présente dans les débats au même titre que les confessions. Ma vision de la laïcité est celle-ci : neutralité de l’état incluant les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ; il s’agit donc de neutralité qui établit les conditions pour que ces valeurs puissent s’épanouir.
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