- Pierre Verjans,
politologue à l’ULiège
« CE QUI FAIT QUE CETTE PROPOSITION AURA, OU NON, DU SUCCÈS EST L’AMBIANCE ANTIMUSULMANE »
Pierre Verjans est politologue, chargé de cours au sein de la Faculté de Droit et de Science politique à l’Université de Liège. Il étudie et enseigne, entre autres, la question des piliers catholique et anti-cléricaux dans le système politique belge. Cette clé d’analyse et de compréhension, importée des travaux de Arendt Lijphart aux Pays-Bas et adaptée aux spécificités de notre pays, permet de suivre de nombreux débats et éclairer les positions de certains partis sur des sujets de société, comme la place des thématiques religieuses ou les questions autour de l’enseignement. Selon lui, l’influence de l’église comme lien idéologique a quasiment disparu en Belgique. La question de la neutralité de l’état ou de la laïcisation de la Constitution pourrait toutefois être perçue différemment au sein des différents piliers.
Salut & Fraternité : Aujourd’hui, que reste-t-il des piliers en Belgique ?
Pierre Verjans : il reste quelque chose de très diffus. On remarque que les éléments associatifs du pilier catholique évoluent de façon très différente. D’abord, le parti anciennement catholique, puis chrétien, puis maintenant centriste, a une courbe descendante en terme d’électeurs. Joëlle Milquet a su freiner le mouvement mais elle n’a pas pu l’arrêter. Ensuite, la structure cléricale diminue, il y a de moins en moins de gens qui fréquentent les églises. À côté de cela, il y a un succès syndical, un succès mutualiste et un succès scolaire. Mais ces succès sont plutôt liés à une image de bonne gestion ou de bonne formation pour l’enseignement.
Cela signifie aussi, que pendant que la diminution de la logique de tolérance entre les systèmes se passe, il y a une diminution de l’ambition du rôle de l’église par les membres de l’église eux-mêmes. Sous les primats des cardinaux Suenens et Danneels, l’église définissait son rôle de façon fort différente de ce qu’elle donnait elle-même comme définition sous le cardinal Van Roey, par exemple. L’église ne se considère plus en Belgique comme une institution qui doit donner des consignes de vote. Sa dernière intervention visible dans le monde politique date de la grève de 60.
S&F : Quelles conséquences politiques cela peut-il donc avoir sur une potentielle laïcisation de l’état ?
PV : si on reprend la question de la laïcité de l’état, la plupart des catholiques pratiquants sont maintenant prêts à voir voter une loi ou une règle constitutionnelle faisant admettre le principe de la laïcité de l’état.
Par contre, ce qui peut freiner l’adoption de cette initiative aujourd’hui, ce sont les motifs sous-jacents à cette loi. Le motif sous-jacent à la proposition, en 2010, d’affirmer la laïcité de l’état n’est pas du tout ce que des personnes très estimables comme Christine Defraigne et Philippe Mahoux ont en tête. Ce qui fait que cette proposition aura, ou non, du succès est l’ambiance antimusulmane.
il est vraiment fascinant de voir que les luttes de principe sur le voile, sur l’égalité de la femme et sur la laïcité de l’état ne sont pas dirigées contre le système clérical dominant depuis longtemps. Elles apparaissent contre un danger nouveau, l’islam, perçu comme plus menaçant encore que l’église catholique ne l’était.
Aussi, je trouve très intéressant de voir qu’en fait, les catholiques pratiquants ont moins peur de l’intégrisme. Parce que, vu de l’intérieur, ou peut-être par leur culture politique, ils savent qu’un intégrisme, quand il veut prendre place dans une institution de pouvoir où il n’est pas seul, peut se transformer en parti qui accepte les principes de liberté.
Les mobiles pour poser la question, en 2010, de la laïcité de l’état ne sont pas anticléricaux. Si cette proposition a du succès, ce n’est pas par une logique anticléricale. C’est par une peur de l’islam.
Je ne sais donc faire aucun pronostic sur ce genre de proposition. Il est fort possible que des gens qui sont attentifs aux problèmes de la personne d’origine étrangère se disent que les motifs cachés sont trop dangereux. Travailler sur l’identité nationale en France comme affirmer la laïcité de l’état en 2010, ce n’est pas mettre le drapeau de la même couleur que le combat qu’on est en train de mener. C’est une image qui peut créer une série de résistances.
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