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Jean Beaufays,
professeur ordinaire émérite de Science politique à l’ULg
Le referendum : le choix de la consultation populaire en Belgique
Jean Beaufays est professeur ordinaire émérite de Science politique à l’ULg. Il a enseigné les fondements institutionnels de la Belgique à des générations d’élèves. Nous l’avons interrogé sur la question du référendum à l’occasion du vote sur les minarets en Suisse.
Salut & Fraternité : Quelle est la position de la Belgique sur le terrain du référendum et de la consultation populaire ?
Jean Beaufays : En Belgique, nous avons choisi la forme de démocratie représentative. C’est-à-dire que le peuple n’a qu’une fonction qui est d’élire ses représentants. Une fois que les représentants sont élus, la fonction officielle du peuple cesse et ce sont les élus qui prennent toutes les décisions et notamment fabriquer les Lois. D’autres pays ont choisi d’autres formules. La forme de démocratie directe n’existe quasiment plus à l’état pur. Ce qu’on voit, ce sont des formes de démocratie semi-directe. Cela veut dire que l’essentiel du régime est représentatif mais qu’une partie quand même des décisions peut être ou doit être réservée au peuple. C’est essentiellement le référendum. (…)
En Belgique, pour différentes raisons, on n’a pas encore choisi cette formule-là mais bien celle de la consultation populaire. C’est-à-dire qu’on demande l’avis des citoyens et puis le milieu politique en fait ce qu’il veut. Il faut bien dire que très généralement, il se moque complètement de ce que les citoyens ont donné comme avis. La plus célèbre consultation populaire, c’est évidemment celle de 1950 dans l’affaire de la question royale. On peut aussi prendre l’exemple de toute une série de consultations populaires au niveau communal pour lesquelles on a vu la même chose. (…)
S&F : En Belgique donc, il n’y a pas de référendum. Y a‑t-il eu des tentatives ? On entend des revendications dans le programme de partis, comme récemment dans celui de Modrikamen.
J.B. : Oui, il y a des tentatives régulièrement. Le référendum, en tant que processus de décision, n’existe ni au niveau fédéral, ni au niveau régional en Belgique. C’est considéré comme anticonstitutionnel puisque la Constitution parle d’un régime représentatif. (…)
En Belgique, est-ce qu’on oserait poser la question de la fin ou non de la Belgique ? si le référendum avait existé, est-ce que la loi sur la dépénalisation sur l’interruption volontaire de grossesse, la loi sur l’euthanasie, la loi sur le mariage et sur l’adoption par des couples homosexuels, est-ce que tout cela aurait été avalisé par référendum ? (…)
La crainte qu’on avance habituellement en Belgique est celle d’un clivage très tranché entre le nord et le sud. On avait déjà eu ce clivage lors de la consultation populaire sur l’éventuel retour de Léopold III. Les Flamands étaient massivement pour le retour. Les Wallons étaient largement hostiles. aujourd’hui, si on posait la question sur BruxellesHalle-Vilvorde, je n’oserais pas imaginer le résultat. Je crois donc que le monde politique juge prudent de ne pas consulter la population sur des sujets soit éthiques, soit de haute sensibilité politique ou politico-linguistique.
S&F : On a parlé récemment de la consultation sur les minarets en Suisse. Quelle est la différence entre le système belge et les autres systèmes ?
En suisse, vous avez des référendums qui se déroulent au niveau national et qui exigent une double majorité : une majorité de citoyens et une majorité de cantons. La pratique du référendum est fréquente en suisse. Il y a tous les ans des référendums qui portent des sujets divers mais quand même beaucoup ces derniers temps sur la place des étrangers, l’immigration, le travail des étrangers. Jusqu’avant l’aventure des minarets pourtant, la population s’est montrée plutôt modérée. (…)
Le référendum en suisse peut être d’initiative populaire alors que souvent il est d’initiative gouvernementale ou vous trouvez ainsi des dispositions, par exemple en matière d’alcool, qui sont d’initiatives populaires. Le peuple ayant été plus courageux que le pouvoir politique dans l’interdiction de certaines boissons franchement toxiques. (…)
aux Etats-Unis par ailleurs, lors des élections, on organise souvent des référendums. Le référendum est parfois simplement une façon de mobiliser les électeurs. D’initiative populaire, vous suscitez un référendum sur le mariage homosexuel. Vont se déplacer pour voter contre cette « abomination », une série de républicains, qui, peut-être, seraient restés chez eux autrement. Etant en route, ils vont voter pour le candidat républicain. (…)
S&F : En Suisse, la question des minarets a soulevé beaucoup d’autres questions que celle simplement de l’installation de minarets…
Oui, c’est cela. Les gens répondent oui ou non pour des raisons différentes et en même temps, il y a une pluralité de causes dans chaque camp. Celui qui est intégriste catholique et qui dit « je ne veux pas de minarets, construisons des clochers » et le laïque obtus qui dit « je ne veux pas de minarets et faisons sauter les clochers ». (…)
Pour conclure, on peut dire que c’est le métier de l’Homme politique qui est au cœur de la question. Je crois que le monde politique est tellement obnubilé par les élections et par la pression médiatique qu’on lui met, que cela devient difficile pour lui d’avoir comme rôle de prendre les meilleures décisions à long terme.
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