• Joseph Licata
  • Marc Vandewynckele

Participer, oui. Mais comment ?

Quelle est la place du monde asso­cia­tif dans des proces­sus parti­ci­pa­tifs ? Quels sont les acteurs concer­nés par ce type de proces­sus ? Des habi­tants d’un quar­tier, des élus, des acteurs socio-écono­miques, des tech­ni­ciens… ? Quels sont les outils qui permettent l’émergence d’un proces­sus parti­ci­pa­tif ? Voilà bien des ques­tions qui se posent quand on parle d’associer les habi­tants à la vie collec­tive d’une ville, d’un quar­tier, et du rôle que peuvent jouer les associations.

 Depuis quelques décen­nies, plu sieurs métho­do­lo­gies tentent de mettre en œuvre de telles approches, dont notam­ment la recherche-action parti­ci­pa­tive élabo­rée par Ita Gassel, ethno­logue belge décédé en 1994. En quelques mots, la recherche-action parti­ci­pa­tive envi­sage le groupe humain (composé lui-même de plusieurs groupes sociaux concrets) dans son contexte. L’écoute et l’observation de ces diffé­rents groupes sociaux ont pour but de produire des actions de chan­ge­ments par rapport aux diffi­cul­tés expri­mées. Les thèses, les argu­ments de chaque groupe social sont de ce fait le contenu d’une exper­tise parta­gée dans la pers­pec­tive d’un maître  plan.

Avec Ita Gassel, la recherche-action parti­ci­pa­tive est davan­tage une philo­so­phie d’action, un proces­sus au cours duquel les groupes sociaux vont progres­si­ve­ment gagner une maîtrise sur leur histoire et leur territoire.

En résumé, ce proces­sus sera arti­culé autour de quatre moments : l’émergence, l’expertise, la mobi­li­sa­tion et la stratégie.

Avec Ita Gassel, la recherche-action parti­ci­pa­tive est davan­tage une philo­so­phie d’action, un proces­sus au cours duquel les groupes sociaux vont progres­si­ve­ment gagner une maîtrise sur leur histoire et leur territoire.

L’émergence

Pendant ce moment, chez les indi­vi­dus et les groupes sociaux concrets sont enfouis des ressources consi­dé­rables, des poten­tiels, des passions. Les problèmes ne sont pas niés, mais ils sont obser­vés à partir des forces détec­tées que nous consi­dé­rons comme contra­riées et qu’il s’agit de  libérer.

L’expertise

Les indi­vi­dus et groupes sociaux concrets que nous rencon­trons y ont une vision du passé, du présent et de l’avenir et, de manière latente, une capa­cité de comprendre les situa­tions et à propo­ser des trans- forma­tions adap­tées. Cette écoute parti­ci­pa­tive est la base de débats démo­cra­tiques de plus en plus élargis.

La mobi­li­sa­tion

Les indi­vi­dus et les groupes sociaux concrets rede­ve­nus auteurs, concep­teurs, et acteurs, dépassent progres­si­ve­ment leur inté­rêt parti­cu­lier pour entrer dans l’intérêt géné­ral. Des micro-projets émergent et sont accom­pa­gnés. Ils s’inscrivent petit à petit dans un projet global qui leur est devenu familier.

La stra­té­gie

Ayant détecté les éner­gies dispo­nibles, capi­ta­lisé l’expertise au-delà de celle des tech­ni­ciens et déclen­ché la mobi­li­sa­tion, il est alors possible de situer chacun dans son rôle suivant le prin­cipe de subsi­dia­rité et de produire de nouvelles formes de coopé­ra­tion d’un projet bien identifié.

Au  fil  des  années, ce  type  de  proces­sus s’est toute­fois vu contra­rier par une atomi­sa­tion du tissu social. En effet, ce n’est qu’actuellement que nous ressen­tons le virage opéré à la fin des années 1970 (opéré d’abord dans les pays anglo-saxons) avec le choix d’une société néo-libé­rale, régie par des rela­tions singu­lières entre l’individu et son envi­ron­ne­ment. Comme si le monde n’était plus qu’un assem­blage d’entité unique avec pour objec­tif l’affirmation de soi. D’une manière signi­fi­ca­tive, le senti­ment d’appartenance à un groupe social s’est  dilué en un rapport de force entre des inté­rêts privés.

Pour rappel, l’activité humaine de nos socié­tés s’organise autour d’un certain nombre de sphères plus ou moins hermé­tiques or, la sphère asso­cia­tive et les corps inter­mé­diaires (ayant comme fonc­tion d’être un lien entre la popu­la­tion et les aires de déci­sion, qu’elles soient publiques ou socio-écono­miques) se sont graduel­le­ment dégra­dés. Cette lourde tendance, renfor­cée par un repli sur soi dans un contexte écono­mique morose, a trans­formé dura­ble­ment l’activité humaine désin­té­res­sée en acti­vité humaine de loisir et de consom­ma­tion, où l’hédonisme et l’individualisme sont consi­dé­rés comme valeurs premières.

Para­doxa­le­ment, les pouvoirs publics proclament une nouvelle culture poli­tique : écoute du citoyen, poli­tique de proxi­mité, promo­tion de la citoyen­neté, à l’instar d’expériences menées dans des pays d’Amérique Latine comme le budget parti­ci­pa­tif. C’est ainsi que la sphère publique et poli­tique tente de mettre en œuvre aujourd’hui, des programmes parti­ci­pa­tifs, à travers notam­ment des Projets de Ville. Cepen­dant, le plus souvent, la sphère publique et poli­tique s’adresse direc­te­ment à l’habitant ; elle lui demande d’exprimer ses besoins en tenant compte de l’intérêt géné­ral tout comme bon citoyen qui se respecte. Mais, elle fait l’impasse d’une exper­tise parta­gée et d’une déli­bé­ra­tion avant de prendre une déci­sion, et met de côté la sphère asso­cia­tive comme intermédiaire.

Dans cette démarche, nous obser­vons souvent ce type de cheminement :

La rencontre entre l’élu et les habi­tants se fera en direct, en face à face, sur un sujet local étran­ger aux enjeux socio-écono­miques (aména­ge­ment de quar­tier, problème de sécu­rité, problème de propreté, …).

Les échanges feront plutôt émer­ger les aspects néga­tifs du sujet pour lequel la parti­ci­pa­tion de l’habitant est demandée.

L’élu aura tendance à vouloir régler tous les besoins expri­més par l’assistance en tenant des promesses qui seront diffi­ciles à mettre en œuvre.

L’habitant-individu face à un constat d’immobilisme (les enga­ge­ments pris par la sphère publique se faisant attendre) aura de la méfiance, de la lassi­tude, un scep­ti­cisme envers toutes démarches parti­ci­pa­tives. Et lors de consul­ta­tion citoyenne, l’espace de débat sera noyauté par un public ayant davan­tage une atti­tude NIMBy (not in my back yard) qu’une atti­tude construc­tive et d’ouverture vers l’autre.

Le monde asso­cia­tif a un rôle à jouer. CC-BY-NC-SA Flickr – etech

Dans ce nouveau contexte, quel est l’usage fait de l’espace public (lieu inter­mé­diaire qui rend possible la rencontre de groupes sociaux diffé­rents, l’échange de points de vue, la déli­bé­ra­tion en vue d’une déci­sion concer­nant la vie de la Cité) ? En effet, aujourd’hui, l’espace public est davan­tage perçu comme une forte­resse à conqué­rir (ou à défendre, à occu­per), avec pour corol­laire une commu­ni­ca­tion sur le mode de la confron­ta­tion. Face à cette réalité, la volonté de s’appuyer sur la culture vécue et de construire avec les diffé­rents acteurs concer­nés des espaces de rencontre, de réflexion et de débat pour se comprendre avant de program­mer, nous a amené à rele­ver de nouveaux défis.

Il faut déve­lop­per des pratiques de démo­cra­tie déli­bé­ra­tives en consti­tuant les habi­tants en co-auteurs – concep­teurs – acteurs – évalua­teurs des projets de terri­toire et en déve­lop­pant leur niveau de conscience politique.

Il est néces­saire de recons­ti­tuer une subsi­dia­rité active à partir de l’identification des besoins dans la sphère privée pour les faire venir dans l’espace public, comme base d’un nouveau contrat social.

Il est aussi essen­tiel de faire renaître un mouve­ment social, opposé à l’orgueil de l’action tech­nique et administrative.

Il faut permettre au poli­tique de donner le sens : un mailleur plus qu’un commissaire.

Il est utile de promou­voir une écono­mie de pleine acti­vité dans une vision dyna­mique et produc­tive de la sphère socio-économique.

Récu­sant  toute  stig­ma­ti­sa­tion  ou enfer­me­ment de groupe social, de classe d’âge, de culture ou de terri­toire, il faut redon­ner une place centrale dans la recom­po­si­tion du tout : faire du trans­fron­ta­lier (un passeur et un non doua­nier armé).

Nous devons, dès lors, passer péda­go­gi­que­ment du local au global et du présent aux géné­ra­tions futures.

< Retour au sommaire