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Sibylle Gioe,
avocate et administratrice de la Ligue des droits humains
La politique migratoire est-elle extrémiste ?
Associations, collectifs, syndicats, citoyen·nes, nous sommes nombreux·ses à dénoncer le caractère inique et peu respectueux des droits humains de la politique d’asile et de migration. Celle-ci peut-elle être qualifiée d’extrémiste ? Voici quelques éléments de réponse.
La liberté de circulation – le droit de quitter son pays et d’y revenir – est consacrée par la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 13). La liberté des Belges est une des plus étendues au monde, en sixième position du classement mondial : ils et elles accèdent à 188 pays sans condition de visa1.
Le droit d’asile est reconnu par la même Déclaration (article 14) et par la Convention de Genève sur le statut de réfugiés. Pourtant, l’Union européenne (UE) a récemment admis que ses États membres se dispensent de respecter le droit fondamental à être accueilli, pour la modique somme de 20 000 € par réfugié2.
En Belgique, l’extrémisme est qualifié en référence au respect des droits humains, de la démocratie et de l’État de droit. La loi sur la Sûreté de l’État définit l’extrémisme comme « les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu'elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit en ce compris le processus de radicalisation3 ». Ces extrémismes sont surveillés dès lors qu’ils constituent une menace pour la sécurité physique et morale des personnes.
La politique migratoire est logiquement le sujet de prédilection de l’extrême droite, définie par sa xénophobie et son autoritarisme ou son obsession sécuritaire. L’extrême droite revendique la réduction maximale des possibilités d’immigration, par opposition constante à la liberté de circulation et au droit d’asile.
Avec des justifications en apparence neutres, mais en pratique xénophobes, d’autres formations politiques régulièrement au pouvoir et des institutions politiques s’inscrivent dans cette mouvance.
Illustrations : rien ne se perd, rien ne se crée… tout se transforme.
Prenons par exemple le plan en 70 points du Vlaams Blok de 19964 et son chapitre sur le durcissement de la nationalité, incluant un « test de citoyenneté » pour accéder à la nationalité (point 28). En 2019, le programme électoral du MR comprenait lui aussi un chapitre intitulé de la sorte, incluant un test similaire portant sur les « valeurs et les traditions » de la société5.
Prenons la proposition du parti français Reconquête6 d’externaliser la procédure d’asile, c’est-à-dire de la déléguer à des pays tiers, sans que les exilé.es ne pénètrent sur le territoire. C’est là où se perd l’UE, lorsqu’elle envisage la création de « plateformes de désembarquement » dans des pays tiers7, ou qu’elle soutient des accords avec la Libye et la Turquie, où les réfugié.es sont systématiquement maltraités. Notons aussi que quand Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, est financée pour renforcer la « protection des frontières extérieures » de l’UE, ce n’est pas pour désigner autrement la migration que comme une menace. Le plan en 70 points du Vlaams Block ne proposait pas autre chose (point 35).
Prenons les propos d’un secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration : « il faut trouver une manière de contourner l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme8 » et sa jurisprudence, c’est-à-dire l’interdiction absolue de soumettre quiconque à des traitements inhumains ou dégradants, notamment en réalisant des « pushback », le refoulement de bateaux en mer. Et ceux où il se vante d’ignorer les jugements en faveur des étrangers, alors que l’exécution des jugements est un droit fondamental et une caractéristique essentielle d’un État de droit. Comment comprendre que face à un tel extrémisme, son parti politique n’est pas financièrement sanctionné9 ?
Si la xénophobie de telle mesure ou de tel propos venait à nous échapper, rappelons-nous qu’en pratique, d’aussi massives violations des droits fondamentaux des Belges seraient impensables.
Quant aux menaces sur la sécurité morale et physique des personnes exilées, en raison de ces politiques xénophobes et sécuritaires, rappelons que plus de 26 000 personnes sont mortes noyées dans la Méditerranée depuis 2014 et que les survivant·es sont accueilli·es dans de sordides camps.
- Henley Passport Index, 9 juillet 2023.
- RTBF, 8 juin 2023.
- Article 8, 1, c) de la loi du 30 novembre 1998.
- Le programme en 70 points du Vlaams Blok sur l’immigration a valu à l’ancêtre du Vlaams Belang une condamnation pour racisme en 2004.
- Programme du MR 2019, p. 204.
- Parti politique d’extrême droite fondé par Éric Zemmour en 2021.
- Communiqué de presse du 24 juillet 2018. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_18_4629
- Lire ici.
- Voir l’article 15 ter de la loi du 4 juillet 1989.