• Christiane Debouver
    Christiane Debouver
    administratrice déléguée de Kongoye asbl au Sénégal
  • Evelyne Daniel
    Evelyne Daniel
    CAL Soumagne
Propos recueillis par Aline Kockartz

Le Centre Kabongoye, un espace d’échanges avec les jeunes et les femmes

En 2000, face au constat de pénurie totale au niveau médical dans un village de brousse sénégalaise, un collectif rassemblant Belges et Français s’est constitué afin d’offrir à la population de ce village un centre de soins et de santé.

L’asbl Kabongoye – Humanisme et Laïcité Liège‑Sénégal, du nom de ce village, s’est constituée en 2003, à l’initiative de militants laïques issus du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège. L’association développe ses actions dans l’est du territoire sénégalais à destination des enfants talibés (en Afrique de l’Ouest, un talibé est un élève de l’Islam) de M’Bour (la ville de M’BOUR se trouve à 80 km au sud de Dakar, près de Saly, deuxième port de pêche du pays). Le constat initial : la mendicité infantile dans les rues est importante à M’Bour comme dans la capitale.

Diverses phases et stratégies de travail ont été menées par l’association pour viser un ancrage local permettant d’accéder à ces jeunes et aux populations autochtones.

En 2019, le centre éducatif et culturel de Saly Carrefour a pu être inauguré par l’association, suite au projet de construction et d’ameublement des classes. La mission initiale de l’association vise le développement humain en général et plus particulièrement l’aide à l’émancipation des femmes et des enfants de la rue, grâce, notamment, à des cours d’alphabétisation et à une école de devoirs, mais aussi la poursuite de l'aide au fonctionnement d'une case de santé dans le village.

Rencontre avec deux des administratrices et membres fondatrices de l’association afin de partager les projets actuels qui entrent tout particulièrement en résonance avec les droits humains.


Entretien avec

Christiane Debouver

Evelyne Daniel

Santé, éducation et émancipation

Salut & Frater­nité : Quels sont les piliers de l’action de Kabon­goye au Séné­gal en lien avec les droits humains ?

Chris­tiane Debou­ver : Il en existe plusieurs : l’alphabétisation des enfants tali­bés de la rue, le renfor­ce­ment scolaire en école primaire et les débats avec les femmes sur leurs diffi­cul­tés. Nous avons notam­ment abordé les rela­tions entre les garçons et les filles, ainsi que la sexua­lité (la confiance et l’estime de soi, les rela­tions paren­tales, les rela­tions affectives).

Depuis un an envi­ron, nous orga­ni­sons aussi des échanges avec les jeunes du lycée de Saly : ils ont mis sur pied un gouver­ne­ment scolaire et un débat mensuel dans les locaux de Kabon­goye. Ils sont nombreux à rêver de quit­ter l’Afrique en pirogue à la recherche de l’eldorado en Europe. C’est une théma­tique diffi­cile à travailler telle­ment l’idée que la vie est meilleure ici est ancrée chez eux, et ce d’autant plus au regard de la pénu­rie d’emplois, du recul du tourisme lié à la covid-19 et de la prégnance de l’islam djiha­diste dans la société. La seule solu­tion qu’ils entre­voient alors est de prendre la pirogue. Beau­coup de jeunes en reviennent et sont alors reje­tés de la commu­nauté et se cachent.

Derniè­re­ment, il y a eu plusieurs naufrages de migrants et les imams ont condamné cette immi­gra­tion et ceux qui se noient lors de la traver­sée. Cela a été très mal perçu par la popu­la­tion, qui met tout son espoir (et ses moyens) dans la personne de la famille qui part. En consé­quence, les imams sont un peu moins bien vus dans la société.

Evelyne Daniel : Notre dernier pilier de travail est un système de parrai­nage initié il y a deux ans pour les jeunes filles en âge de scola­rité. Il concerne actuel­le­ment 14 adoles­centes qui sont parrai­nées par des personnes physiques ou des asso­cia­tions. Pour 150 euros par an, chaque dona­teur offre une année d’encadrement scolaire à chacune d’elles (voir encadré).

C.D. : Les deux critères de sélec­tion sont de bons résul­tats scolaires et des diffi­cul­tés maté­rielles pour la conti­nuité de la scola­rité. Souvent, ces jeunes filles doivent rester à la maison pour aider la fratrie. Parmi celles qui béné­fi­cient de cette aide, certaines pour­ront accé­der à l’­université.

E.D. : Nous consta­tons que Kabon­goye est devenu un lieu d’échanges dans la cité. Un maillage social est en train de se construire autour de notre centre qui devient un espace de rencontres, en parti­cu­lier pour les jeunes et les femmes.

S&F : Quels sont vos futurs projets ?

C.D. : Nous avons conclu un parte­na­riat en coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment avec l’Université Libre de Bruxelles et ECLOSIO en matière d’environnement. Le but est de collec­ter les ordures orga­niques qui se trouvent dans les villes et d’en faire du compost pour, ensuite, former les gens à cette pratique au béné­fice de l’agriculture rurale.

E.D. : Nous abor­dons ainsi les ques­tions de déve­lop­pe­ment durable par le travail sur cette problé­ma­tique de trans­for­ma­tion des déchets orga­niques en fumier.

C.D. : Nous souhai­tons amener les enfants du centre Kabon­goye dans des zones plus rurales pour qu’ils profitent de ces forma­tions et actions de sensi­bi­li­sa­tion. Kabon­goye est donc main­te­nant lié à un terrain villa­geois à Mali­counda et cette action envi­ron­ne­men­tale est appe­lée à prendre de l’ampleur.

S&F : Comment abor­dez-vous les ques­tions de laïcité et de droits humains avec votre public ?

C.D. : Au centre, nous ne parlons a priori ni de reli­gion ni de poli­tique, et ce afin de permettre au plus grand nombre de jeunes de rejoindre nos acti­vi­tés et de parti­ci­per à nos débats.

E.D. : Nous n’en parlons pas direc­te­ment. Ce sont des sujets poli­tiques et socio­lo­giques. La sexua­lité et la gros­sesse précoce sont des sujets cultu­rels que nous ne trai­tons pas au regard du Coran. Notre méthode consiste à lais­ser les parti­ci­pantes et parti­ci­pants nour­rir les sujets de débats.

C.D. : Nous favo­ri­sons toujours l’ouverture d’esprit, l’échange, le débat, quelle que soit l’orientation reli­gieuse des personnes. La Charte afri­caine des droits de l’homme et des peuples (pour­tant rati­fiée par 25 pays) n’est pas connue par les citoyennes et les citoyens au Séné­gal. Et donc c’est un sujet qu’il sera inté­res­sant de trai­ter avec eux dans le futur. La laïcité est inscrite dans la Consti­tu­tion ; elle se rapproche de la laïcité poli­tique à la fran­çaise. Donc norma­le­ment, le président ne devrait pas consul­ter les imams mais il le fait lorsqu’il a une déci­sion impor­tante à prendre, et ce pour s’assurer un soutien élec­to­ral. Cela reste ancré dans la pratique.

 

Envie de parrai­ner une jeune fille en âge scolarité ?
(150 euros/année scolaire)

Contac­tez l’association Kabongoye :
debouverchristiana@gmail.com danielevelyne63@gmail.com

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