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Roland d’Hoop,
chargé outils de sensibilisation chez Oxfam Magasins du Monde
Le Donut, une boussole vers un nouveau monde
Le monde d’après, on devrait le faire maintenant ! Et il pourrait prendre la forme d’un donut. Ce Donut, il faut le voir comme une boussole qui nous donne un cap bien plus réaliste que la courbe de croissance infinie à laquelle s’accrochent encore trop de pays et d’entreprises.
Avec le Donut, on peut visualiser les balises au sein desquelles toute activité humaine devrait dorénavant s’inscrire, afin de maintenir le cap vers « un espace sûr et juste pour l’humanité » : l’anneau intérieur délimite le plancher social du bien-être. Il reprend les éléments essentiels, reconnus au niveau international, pour une vie digne : une alimentation suffisante, la santé, l’éducation, le logement, l’énergie… tout en visant plus d’équité sociale et d’égalité de genre1 . L’anneau extérieur est celui du « plafond environnemental » : il délimite la pression que l’humanité peut exercer sur les systèmes vitaux de la Terre sans risquer de les mettre en péril au travers, par exemple, du changement climatique, de la perte de biodiversité ou de l’utilisation des terres2 . C’est entre ces limites sociales et planétaires que se trouve un espace juste et sûr pour l’humanité.

En équilibre sur un fil
Si l’on regarde le monde à partir de cette boussole, les nouvelles ne sont franchement pas très positives. Au niveau environnemental, le plafond a d’ores et déjà été dépassé pour au moins quatre des neuf dimensions : les changements climatiques, l’utilisation des terres, le cycle de l’azote et du phosphore et enfin l’appauvrissement de la biodiversité3 . Quant au niveau social, la situation n’est guère plus rassurante. Le dernier rapport d’Oxfam publié à l’occasion du sommet de Davos dénonce que les 10 personnes les plus riches au monde possèdent ensemble plus de richesses que les 3,1 milliards de personnes les plus pauvres4 .
Pour une économie distributive et régénérative
Dans son livre Doughnut Economics publié en 2017 et traduit en français en 20185 , Kate Raworth imagine sept principes pour une économie adaptée au monde d’aujourd’hui. Le premier de ces principes est de modifier notre perception du progrès. À la place d’une économie linéaire basée sur l’extraction de ressources naturelles le plus souvent gaspillées pour produire des biens à usage unique, il faut selon elle tendre vers une économie circulaire et utilisant des énergies renouvelables.
Avec le Donut, on peut visualiser les balises au sein desquelles toute activité humaine devrait dorénavant s’inscrire (…)
Kate Raworth imagine un monde délivré de sa dépendance aux énergies fossiles. À la place, un réseau mondial d’énergies renouvelables serait détenu par des collectivités qui l’utiliseraient pour le bien commun. De même, les entreprises ne seraient plus la propriété de quelques actionnaires mais seraient détenues par leurs salariés et salariées qui en partageraient les bénéfices. Ces principes de transition juste sont au cœur de l’économie du Donut. Comme le résume Kate Raworth, on ne peut construire la transition écologique sans une lutte généralisée contre les inégalités, c’est-à-dire contre les 1 % de la population mondiale détenant plus de 50 % des richesses6 .
Un concept très inspirant à travers le monde
Après la pionnière Amsterdam, plus de 25 communautés ou villes ont adopté le Donut à travers le monde, afin de réorienter leurs stratégies pour l’avenir. La région bruxelloise a ainsi récemment mené le projet BrusselsDonut, avec quatre niveaux d’application : macro (le portrait Donut de la région), meso (l’analyse des stratégies et plans d’action), micro (l’analyse de projets et activités) et nano (l’analyse d’objets du quotidien7 ). Ces analyses ont abouti à la publication de trois rapports qui peuvent aider des administrations, des entreprises ou des associations à s’emparer du Donut comme outil de réflexion et de stratégie.

En ces temps de grandes incertitudes et de politiques « le nez dans le guidon », il nous faut absolument de nouveaux imaginaires, prendre de la hauteur et porter des lunettes locales et globales, sociales et écologiques. C’est ce que nous propose le Donut et c’est plutôt une bonne nouvelle !
- Ces limites sociales sont basées sur les 11 priorités approuvées lors de la conférence Rio+20 en 2012.
- Il s’agit des limites environnementales planétaires définies par Rockström et al. dans l’étude publiée dans la revue Nature en 2009, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Limites_plan%C3%A9taires.
- Selon une étude de début 2022, la limite de la pollution chimique a aussi été dépassée. Voir https://www.franceculture.fr/environnement/pollution-chimique-sur-neuf-limites-planetaires-cinq-ont-desormais-ete-depassees.
- Voir https://www.oxfamsol.be/fr/les-inegalites-tuent.
- Kate Raworth, La théorie du donut : l’économie de demain en 7 principes, éd. Plon, 2018. Voir aussi ces 4 vidéos qui résument son livre : https://www.lisez.com/actualites/les-7-principes-de-leconomie-de-demain-imagines-par-kate-raworth/683.
- Voir cette vidéo de Kate Raworth à propos de la lutte contre les inégalités : https://youtu.be/jRQvBqE9c9s.
- Voir https://donut.brussels.