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Catherine de Geynst,
responsable de projet au Centre de Référence en Santé Mentale (CRéSam) Namur
La santé sociale et mentale : les dimensions négligées ?
La crise sanitaire de l’année écoulée a mis en lumière de nombreux aspects de notre société. Celui qui nous apparaît prégnant est celui de la place accordée à l’humain et la conception que la société se faisait de la santé mentale avant même la crise, de la place qu’elle accorde aux émotions, aux ressentis et aux souffrances de cet ordre, en général. Aussi, et comme corolaire à cette forme de mise à distance émotionnelle, se pose la question du lien à soi, à l’autre, au monde et à de tels maux, pourtant propres à notre condition.
La présence d’une menace virale pour l’ensemble de la population et la mise en place de contraintes sécuritaires et de contrôle des comportements sont venues agir comme perturbatrices extrêmes de l’insouciance et de la vie quotidienne, non pas uniquement en créant des difficultés, mais en insistant sur celles déjà existantes. Là où les considérations de bien-être psychique semblaient jusque-là être réservées aux professionnels du domaine (et éventuellement aux autres personnes qui ont choisi de s’y intéresser), elles font alors leur entrée dans l’esprit de presque tous, de l’individu au politique, en passant par les familles, les écoles, etc. Comme si l’adversité (commune) poussait (enfin) à s’interroger sur ce qui fait souffrance et sur ce qui panse. Les mesures sanitaires et leur lot de privations ont également interrogé ce qui permet à tout un chacun de « tenir », d’être du côté de la vie et de se sentir exister (la socialisation autour d’activités communes, la culture, l’art,…). De même, la question fut posée de ce qu’il se passe lorsque ces moyens sont retirés, comment fait-on pour se sentir vivre et pourquoi sont-ils si importants ? Les besoins de récits, de poésie, de rêveries et de symbolisation ont ainsi été mis en évidence, la diversité et singularité des réactions également. Pour certains, l’apaisement fut trouvé dans le confinement et, à l’inverse, la course effrénée et les injonctions de profiter à tout prix et de courir retrouver la liberté, lors des déconfinements, n’ont fait que s’ajouter à de multiples injonctions et pressions sociétales, déjà si nombreuses et tant normatives qu’elles ne correspondent en rien à leurs besoins et, au contraire, sont délétères pour leur santé mentale. Aussi, l’on a constaté que le danger venait susciter et renforcer chez le sujet une tendance au repli au soi, à l’individualisme alors même qu’il constitue l’inverse de la stratégie de résilience prônée par les spécialistes : le commun, la solidarité. Au lieu d’amener l’empathie pour son prochain (heureusement présente chez certains), l’idée que d’autres étaient en grandes souffrances (soignants, patients hospitalisés, …) et que nous étions tous confrontés à la même menace aura plutôt donné lieu à diverses stratégies de défenses face à la peur et l’impuissance telles que : le déni, la minimisation, la colère, la recherche de coupable (le complotisme), la polarisation.
La méconnaissance des aspects liés à la santé mentale aura également pour effet la négligence de plusieurs dimensions dans la gestion et les réponses apportées à la crise. Le besoin fondamentalement humain de mettre du sens sur les évènements (ainsi que sur les règles imposées), de les comprendre et de se les approprier pour pouvoir adopter des comportements adéquats sans avoir l’impression totale de perte de contrôle n’aura peut-être pas pu se penser dans le travail d’adhésion de la population. Le sentiment profond de manque de reconnaissance au sein de celle-ci aura, par conséquent, empêché beaucoup de s’entendre. Pour être entendu, il faut entendre, comme dit l’adage et à l’inverse, si tout le monde crie, plus personne ne s’entend. Aussi, le recours au collectif comme soutenant de la résilience, du mieux-être en temps d’adversité semble avoir été sous-estimé. D’autant plus, si l’on considère qu’il s’agit de faire contrepoids à l’individualisme ambiant. Les notions de solidarités ont été évoquées mais non-entendues (ou pas assez), elles ont existé mais n’ont pas suffisamment été encouragées. L’impact positif de l’altruisme comme antidote à l’impuissance, la dépression, la perte de sens, la peur est encore trop fébrilement considérée face aux réflexes de repli et d’attaque. Peut-être cette crise aura-t-elle permis, si pas de le développer totalement, au moins d’initier notre intérêt pour la santé mentale et ses notions, la nôtre et celle de l’autre ? Espérons-le.
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