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Séverine Thys,
anthropologue et chercheuse à l'université d'Anvers
Appréhender la santé de manière globale et solidaire : le concept de One Health.
Comme s’accordent à le dire de nombreux chercheurs travaillant sur les maladies infectieuses émergentes actuelles, l’évolution des pathogènes humains est surtout due à la modification de l’environnement par l’homme, qui a entraîné une augmentation et une modification du contact entre les humains et les animaux (1,2).
Dans les relations de l’Homo sapiens avec le monde naturel (animé et inanimé), la fragmentation de l’habitat, la déforestation, l’urbanisation et le remplacement de la végétation naturelle par les cultures et l’élevage, en raison de changements rapides des habitudes et des pratiques au sein des sociétés, sont des exemples de facteurs anthropiques qui ont modifié la structure et la migration de la population faunique, et réduit la biodiversité en créant des environnements qui favorisent la vie de certains hôtes, vecteurs et/ou agents pathogènes en particulier (3). Parallèlement, les facteurs structurels tels que la dégradation des terres, les politiques économiques néolibérales, les initiatives de planification et, par conséquent, l’instabilité politique et le manque de ressources, limitent la capacité de certains gouvernements à gérer l’environnement, à contrôler les maladies et à assurer un système de santé efficace, renforçant ainsi les inégalités et la marginalisation de certains groupes.

On sait depuis longtemps que de nombreuses infections traversent les barrières des espèces entre les humains, les animaux domestiqués et la faune sauvage, mais l’opinion à cet égard a toujours été compartimentée (4). Les défis actuels en matière de santé mondiale ont incité un appel en faveur d’approches plus holistiques, collaboratives et axées sur l’action en vue d’élaborer des solutions logiques et pratiques. Dans cette optique, le concept créé et articulé à la Wildlife Conservation Society dans les « Manhattan Principles on One World, One Health», pour prévenir les maladies émergentes dans les populations humaines et animales et maintenir l’intégrité des écosystèmes (5), a connu une renaissance sans précédent au cours des dernières décennies. Définie comme « One medicine » par Schwabe (1984), la pensée conceptuelle de « One Health » (OH) reconnaît que les humains et les animaux n’existent pas isolément, mais font partie d’un tout plus vaste, d’un écosystème vivant et que les activités de chaque membre affectent les autres. Aujourd’hui, il n’existe toujours pas de définition (légitime) générale et unique du OH, mais il est formulé comme étant l’ensemble des efforts de collaboration de multiples disciplines travaillant localement, nationalement et mondialement pour atteindre une santé optimale pour les personnes, les animaux et l’environnement (6).
Bien que le consensus en vue d’une approche intégrative de la santé ait été consolidé, ses principes sous-jacents doivent encore être clarifiés. L’approche OH est restée peu connue en dehors des secteurs spécialisés et des institutions concernées par les maladies infectieuses et en particulier les zoonoses. Jusqu’à présent, son opérationnalisation s’est avérée difficile. De nombreuses questions et défis pratiques et méthodologiques sur comment et quels leviers sont nécessaires pour favoriser le dialogue interdisciplinaire ont également été soulevés (7), ainsi que la façon de les évaluer (8). Quand il s’agit de mettre en pratique ce concept, on continue à se heurter à de nombreuses barrières, culturelles, économiques, institutionnelles, politiques. On sent encore les réticences à faire bouger les lignes, notamment au nom de l’efficacité et de la logique des coûts. Chacun veut défendre son territoire, sa décision, son expertise.
La crise du Covid-19 a exacerbé ces pratiques qui vont à l’encontre de cette intégration alors que nous aurions besoin de multiplier les regards et d’intégrer une dimension citoyenne forte dans la gestion et l’accompagnement d’une telle crise. L’espoir repose sur l’Europe et le Green deal, qui devrait permettre de libérer des moyens pour la recherche et les institutions qui travaillent à clarifier les liens entre biodiversité, activités humaines et les causes des maladies émergentes. L’interdisciplinarité mais surtout la transdisciplinarité peut renforcer la confiance mutuelle entre le monde de la recherche, le monde politique et les citoyens et favoriser
L’émergence de l’apprentissage social et de l’intelligence collective par la participation. Il s’agira de soutenir des recherches pour identifier les actions qu’il faut mettre en place dès à présent pour compléter les efforts réalisés par d’autres disciplines moins connues ou moins impliquées jusqu’ici tels que les botanistes, les urbanistes, les anthropologues… La liste est longue mais ce qu’il faudrait aussi surtout ce sont des moyens (pas forcément financiers) pour développer des structures, des stratégies politiques et scientifiques qui favorisent la collaboration intersectorielle sur le long terme et ne pas se réveiller uniquement lorsque l’urgence est là.
- Epstein JH, Price JT.The significant but understudied impact of pathogen transmission from humans to animals. MtSinai J Med. 2009 Oct;76(1931-7581 (Electronic)):448–55.
- Lindahl JF, Grace D. The consequences of human actions on risks for infectious diseases: a review. Infect Ecol Epidemiol. 2015 Jan 27;5(1):30048.
- Jones BA, Grace D, Kock R, Alonso S, Rushton J, Said MY, et al. Zoonosis emergence linked to agricultural intensification and environmental change. Proc Natl Acad Sci U S A. 2013 May 21;110(21):8399–404.
- Hall R, Durrheim DN. One Health: much more than a slogan. NSWPublic Heal Bull. 2011 May;22(1034-7674 (Print)):97–8.
- Cook RA, Karesh WB, Osofsky SA. The Manhattan Principles on “One World, One Health”. New York: Wildlife Conservation Society; 2004. Available online (www.oneworldonehealth.org).
- FAO, OIE, WHO, UNSIC, UNICEF, the World Bank. Contributing to One World, One Health. A Strategic Framework for Reducing Risks of Infectious Diseases at the Animal–Human–Ecosystems Interface. 2008;(October):68.
- Bresalier M, Cassidy A, Woods A. One Health in history. In: One Health: the theory and practice of integrated health approaches. Wallingford: CABI; 2015. p. 1–15.
- Frickel S, Albert M, Prainsack B. Investigating interdisciplinary collaboration : theory and practice across disciplines. New Brunswick: Rutgers University Press; 2016. 256 p.