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Cécile Olin,
directrice du planning familial Louise Michel
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Claudine Mouvet,
directrice du planning familial Louise Michel
Planning familial Louise Michel : L'avortement, un combat de longue date
Fondé en 1980, ancré dans le quartier nord de Saint-Léonard, le planning familial Louise Michel propose, au-delà des consultations individuelles (médicales, psychologiques, juridiques, et sociales), un « espace parents-enfants » mais aussi des animations en groupe (alphabétisation, personnes handicapées, femmes victimes de violence, etc.), dans le cadre scolaire ou extrascolaire, à destination d’un public mixte et diversifié.
Sa charte souligne les valeurs philosophiques chères au mouvement laïque : la recherche du choix éclairé, les valeurs d’ouverture et l’engagement citoyen.
L’année 2020 marque le 30e anniversaire de la loi dépénalisant partiellement l’avortement. Pour l’association, c’est l’occasion de rappeler l’importance du mouvement féministe dans la libéralisation de l’avortement, à Liège : il a en effet impulsé la création des premiers centres extrahospitaliers. C’est également l’opportunité de revenir sur la pratique de terrain du planning familial quant à l’IVG et aux droits des femmes et leur activation, au cœur des situations familiales et de couple.
L’année en cours marque aussi un passage de témoin, celui de Claudine Mouvet à Cécile Olin, qui dirigera désormais l’association.
Rencontre avec Claudine Mouvet et Cécile Olin, directrices du centre de planning familial Louise Michel.
Cécile Olin
Claudine Mouvet
Travailler sur le terrain le pouvoir de décision des femmes
Salut & Fraternité : Qu’a changé la loi de 1990 pour vous ?
Claudine Mouvet : Avant 1990, l’idée était de créer un maximum de centres qui pratiquaient des IVG, à la fois pour en améliorer l’accès mais aussi dans une idée de protection mutuelle entre les centres : si on attaque un centre, on en a dix sur le dos.
L’avortement étant illégal, les centres mettaient en place des astuces pour travailler dans l’illégalité : l’une d’elle était de rendre le dossier anonyme (en cas de descente de police au centre) et de le numéroter. Ce numéro renvoyait à une petite fiche (sur laquelle les coordonnées de la patiente étaient inscrites) qui n’était pas gardée au centre. Le seul moment où ces deux documents étaient réunis, c’était le jour de la consultation de la patiente. Ce système a fonctionné pendant des années et a été abandonné lorsque la loi a été adoptée.
La loi de 1990 avait le mérite de donner un cadre. Elle nous a donc permis de travailler dans la légalité. Elle imposait que la femme soit « en état de détresse », ce qui posait problème : c’est le médecin qui devait le constater, ce qui revenait à infantiliser la femme. Cette dernière n’est pas nécessairement en détresse parce qu’elle est enceinte, mais la grossesse n’est pas forcément non plus une bonne nouvelle. Chaque IVG a l’importance que cette femme lui donne, ni plus, ni moins. Dans la loi de 2018, cette notion de détresse a été supprimée. D’un point de vue féministe, c’est beaucoup plus respectueux des femmes.
Cette loi marque aussi « le congé de paternité » du Roi Baudouin qui a refusé de la signer et s’est mis en impossibilité de régner. C’est une des lois qui ont été promulguée le plus rapidement : votée au parlement le 31 mars, et promulguée le 3 avril !
La suite, en 2002, c’est la signature d’une convention avec l’INAMI permettant un financement propre pour les IVG. La subvention propre a rendu les choses plus simples pour fonctionner et a permis de se professionnaliser davantage.
S&F : L’association passe le témoin à une nouvelle directrice, Cécile Olin. Qu’est-ce que ce changement implique pour votre association ?
Cécile Olin : Il faut continuer le travail de terrain et de proximité. Par rapport à d’autres centres de planning familial, ce travail est très important. Je suis issue de l’Éducation Permanente et celui-ci me parle donc beaucoup. Au niveau des défis actuels, il y aura probablement des changements législatifs en matière d’IVG (délai de 18 semaines, suppression des sanctions pénales,…) qui devraient se répercuter sur notre travail. Il s’agirait de vraies avancées, pour lesquelles nous militons depuis 2018 !
C.M. : Dans les changements, il y aurait aussi la réduction du délai de l’accueil. La nouvelle loi donnerait la possibilité de le réduire à 48 heures, mais si la femme a besoin de plus de temps pour réfléchir, ce délai peut être allongé autant que nécessaire. Il est important que la décision d’avortement soit prise quand la femme est prête à la prendre.
C.O. : Une autre dimension essentielle de notre travail est l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS). Un centre de planning familial doit avoir un rôle à jouer dans l’éducation, la sensibilisation et la communication féministe et proposer un projet de société égalitariste. Cela a tout son sens ! On constate qu’il y a une évolution de la violence dans les familles. En animation, nous nous rendons compte avec des couples de jeunes que, par exemple, c’est « normal » pour eux de fouiller le GSM de l’autre. Certaines jeunes filles sont « espionnées » sur Facebook par leur copain, mais elles ne mettent pas le doigt sur le fait que c’est de la violence. Donc faire ce travail est important. Cette violence existe dans beaucoup de situations. Or, le premier pas consiste à identifier cette violence en tant que telle pour pouvoir réagir. La violence n’est pas seulement d’ordre physique : elle peut prendre toutes sortes de formes, et il y a beaucoup d’étapes qui y mènent. C’est un travail important.
IVG, vers une nouvelle loi ?
Huit partis (PS, SP.A, Ecolo, Groen, MR, Open VLD, PTB, Défi) ont cosigné une proposition de loi visant à assouplir les conditions d’IVG. Ce texte, voté en Commission Justice de la Chambre en décembre, a été renvoyé à la demande du CD&V, pour avis devant le Conseil d’État. Cet avis a été rendu public le 24 février dernier. Le Conseil d’État n’y émet pas d’objection quant à l’allongement de 12 à 18 semaines de grossesse, à la réduction du délai de réflexion de six jours à 48 heures ni à la suppression des sanctions pénales à l’égard des femmes et des médecins.
Un avis qui rejoint donc celui du mouvement laïque ! Reste à voir quelle sera la suite de son parcours : Commission Justice, séance plénière, retour vers le Conseil d’État ou nouveaux blocages ? Autant d’étapes potentielles avant de pouvoir enfin disposer d’une loi qui respecte le choix des femmes et leur droit à la santé.