• Sandra Roubin
    Sandra Roubin
    chargée de recherche au Collectif contre les Violences Familiales et l’Exclusion (CVFE)

Le corps des femmes, un objet de contrôle !

L’anthropologue Fran­çoise Héri­tier1 a mis en évidence de quelle manière le corps des femmes consti­tue un objet d’échange depuis que la société a été divi­sée en groupes sur base de la parenté, groupes entre lesquels la coopé­ra­tion n’est possible que via le mariage permet­tant la repro­duc­tion de leurs membres. Les femmes ont alors pour rôle de donner des enfants et leur pouvoir de fécon­dité à d’autres que leurs proches.

L’institution mariage est un des grands vecteurs de l’appropriation du corps des femmes par les hommes. Elle insti­tu­tion­na­lise l’échange de la sexua­lité des femmes et de leur fécon­dité contre leur entre­tien. Colette Guillau­min2 a iden­ti­fié quatre formes de l’appropriation corpo­relle des femmes. La première, qui a direc­te­ment trait au champ sexuel, est l’« obli­ga­tion sexuelle » des femmes, c’est-à-dire l’injonction à avoir des rapports sexuels et à être dispo­nibles à la volonté des hommes qui dési­rent des rapports. Ce qui les consti­tue en objet sexuel et non en sujet puisqu’elles peuvent être consi­dé­rées, évaluées, réduites et/ou trai­tées comme un simple corps par autrui. La deuxième est « l’appropriation des produits de leur corps » : à travers l’injonction à faire des enfants, les femmes étant plus souvent que les hommes ques­tion­nées et mora­li­sées lorsqu’elles ne souhaitent pas en avoir (par la famille, les méde­cins, les gyné­co­logues, etc.). La troi­sième est « l’appropriation de leur temps », dévoué aux tâches ména­gères, à l’aménagement de la maison, à la garde des enfants, à la prépa­ra­tion des repas, etc. Et la quatrième est « la charge physique des membres du groupe », prin­ci­pa­le­ment réali­sée hors salaire, qui consiste dans le travail de soin (care) de l’ensemble des membres de la société (conjoints, parents âgés, enfants, indi­vi­dus malades, etc.).

Ces deux dernières formes d’appropriation du corps des femmes peuvent se regrou­per sous le label de repro­duc­tion sociale, c’est-à-dire l’ensemble des acti­vi­tés ayant pour but la survie des personnes et leur repro­duc­tion3. Aux femmes est assi­gné le travail de repro­duc­tion sociale, aux hommes celui de « produc­tion » ; ce qui renforce une divi­sion sexuelle du travail, qui a comme corol­laires la sépa­ra­tion stricte entre ces deux sphères et leur hiérar­chi­sa­tion, le travail des hommes étant plus valo­risé socia­le­ment que celui des femmes.

Les femmes sont donc encore pour beau­coup asso­ciées à la sphère privée, à la cellule fami­liale, dans le rôle de mère et d’épouse, leur corps étant mis à dispo­si­tion à des fins repro­duc­tives, sexuelles, et de travail domes­tique et de care.

De ce point de vue, les violences conju­gales consti­tuent un des stades ultimes de l’appropriation du corps des femmes puisque le contrôle de ces dernières en est le moteur, que les violences soient d’ordre psycho­lo­gique, physique, sexuel ou économique.

Quant aux violences sexuelles, tant dans l’espace privé que public, elles péren­nisent ce droit des hommes à s’approprier le corps des femmes. Ce sont notam­ment les mythes sur le viol – ou la culture du viol – qui entre­tiennent l’objectification sexuelle des femmes, bana­lisent les violences dont elles sont victimes et les respon­sa­bi­lisent quant à leur occurrence.

CC-BY-NC-SA – Flickr​.com – Jeanne Menjoulet

Le contrôle, enfin, passe aussi par les normes liées au genre (comment dois-je bouger, m’habiller, réali­ser des actes sexuels,… pour être consi­dé­rée comme une femme et répondre, en Occi­dent, aux idéaux de beauté de la femme cis blanche, jeune, mince et valide). Normes qui sont incor­po­rées par les femmes, c’est-à-dire appli­quées de façon incons­ciente et spontanée.

Mais cet enfer­me­ment dans les normes de genre n’est pas une fata­lité. Autant les violences sexuelles peuvent être dénon­cées et combat­tues via des mouve­ments sociaux tels que #Metoo, autant ces normes peuvent être ques­tion­nées, indi­vi­duel­le­ment et collec­ti­ve­ment, pour tenter de défi­nir un usage plus juste de son propre corps et des façons « de se posi­tion­ner diffé­rem­ment au sein du monde et par rapport aux autres pour agir sur ce système oppresseur. »


  1. Fran­çoise HÉRITIER, Masculin/Féminin I. La pensée de la diffé­rence, Paris, 1996, p. 232.
  2. Colette GUILLAUMIN, « Pratique du pouvoir et idée de Nature. (I) L’appropriation des femmes », Ques­tions fémi­nistes, 2, février 1978, pp. 5–30.
  3. Evelyn NAKANO GLENN, « De la servi­tude au travail de service : les conti­nui­tés histo­riques de la divi­sion raciale du travail repro­duc­tif payé », dans Elsa DORLIN, Sexe, Race, Classe, Paris, 2009, p. 22.
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