• Fabienne Bloc
    Fabienne Bloc
    chargée de recherche en EVRAS
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

Ouvrir des espaces de parole pour les garçons et les filles

Fabienne Bloc a travaillé pendant près de 30 ans dans des centres de plan­ning fami­lial et mène aujourd’hui des recherches-actions en lien avec l’éducation à la vie rela­tion­nelle, affec­tive et sexuelle (EVRAS), le genre et la citoyen­neté. Elle est égale­ment char­gée de cours dans le cadre du certi­fi­cat genre et sexua­lité de l’Université libre de Bruxelles. Elle nous parle de l’évolution de l’éducation à la vie rela­tion­nelle, affec­tive et sexuelle.


Salut & Frater­nité : Quels sont les enjeux de l’éducation fémi­niste aujourd’hui ?

Fabienne Bloc : Avec #MeToo, la libé­ra­tion de la parole fémi­nine s’est accom­pa­gnée d’une forme de mécom­pré­hen­sion affi­chée de la part d’hommes quant à leurs impli­ca­tions en termes de consen­te­ment, de respon­sa­bi­lité ou de répar­ti­tion de la charge mentale. La lecture du sondage de février 2020 d’Amnesty Inter­na­tio­nal sur les violences sexuelles nous montre aussi qu’un pour­cen­tage impor­tant de garçons trouvent normal d’insister auprès des filles pour avoir des rela­tions sexuelles.1 Le « non » n’est pas encore compris de façon très claire.
Cette réac­tion mascu­line n’est pas tota­le­ment surpre­nante. Aupa­ra­vant, en anima­tion avec les jeunes, nous parlions beau­coup des femmes, de la fémi­nité, de l’éducation des filles et de l’aspect de leur éman­ci­pa­tion au travers de la contra­cep­tion, de l’avortement et de sujets équi­va­lents. Nous étions plutôt dans une atti­tude de protec­tion par rapport aux filles. Mais l’éducation des garçons et le dialogue avec eux, étaient souvent mis de côté, vus comme moins importants.

Aujourd’hui, les jeunes hommes sont plus inté­grés à cette éduca­tion. Pour qu’ils aient la possi­bi­lité d’évoluer posi­ti­ve­ment, il est impor­tant qu’ils puissent discu­ter aux côtés des filles dans un groupe mixte et être accom­pa­gnés d’une parole adulte. En ouvrant la discus­sion, les jeunes apprennent que ces ques­tions ne sont réser­vées ni aux femmes, ni aux hommes. Dans le même sens, le ques­tion­ne­ment du genre commence à faire sa place dans les anima­tions. La compré­hen­sion de cette notion est essen­tielle pour agir sur la ques­tion des inéga­li­tés qui subsistent entre hommes et femmes.

CC-BY-NC-SA – Flickr​.com – Frank Monnerjans

S&F : L’éducation permet donc de chan­ger les mentalités.

F.B. : Il y a pour moi deux mots essen­tiels dans les combats que nous devons mener : déco­der et déconstruire.
Déco­der car on remarque, par exemple, que la ques­tion des violences est encore fort bana­li­sée. Seuls les faits graves, comme le viol, sont recon­nus géné­ra­le­ment à leur juste valeur comme si les actes mineurs, comme le soulè­ve­ment de jupe, ne consti­tuaient pas de vrais problèmes. Même des éduca­teurs ou des parents mini­misent leur impact. Ces actes dits « mineurs » marquent pour­tant déjà des rapports de domi­na­tion entre hommes et femmes.

Il faut aussi décons­truire car il existe encore de nombreux mythes qui entrainent des stéréo­types, qui amènent eux-mêmes à des assi­gna­tions desquelles il est très diffi­cile pour chacun et chacune de s’échapper. Le modèle patriar­cal de nos socié­tés nous apprend que les femmes sont douces, gentilles, etc., et que les hommes sont virils, coura­geux et forts. Du coup, au niveau sexuel et émotion­nel mais aussi en termes de choix de carrière, il est très diffi­cile pour des adoles­cents et des adoles­centes de sortir de cet état d’esprit.

Je constate dans mes anima­tions l’importance de culti­ver l’esprit critique. À titre d’exemple, j’ai travaillé récem­ment sur la ques­tion de la porno­gra­phie. Et, dans les faits, le scéna­rio d’une rela­tion sexuelle aujourd’hui est souvent calqué sur les stéréo­types majo­ri­taires de l’industrie du X. Il faut d’abord embras­ser, passer ensuite à la fella­tion pour termi­ner par une péné­tra­tion. Comme si ce scéna­rio était figé. Comme si l’individu n’avait plus son sens critique et ne pouvait pas dire « cela je n’aime pas », ne pouvait pas dire « non » ou expri­mer des préfé­rences. Pendant l’adolescence parti­cu­liè­re­ment, on fait beau­coup de choses pour plaire à l’autre, pour répondre aux attentes réelles ou suppo­sées de ses pairs. Certaines filles se demandent si elles sont obli­gées d’effectuer tel ou tel acte. Et des garçons paniquent à l’idée de devoir « assu­rer » comme tel ou tel acteur porno qu’ils ont vu. C’est rassu­rant pour eux d’en parler et de montrer la grande diver­sité des atti­tudes sexuelles et amoureuses.

L’EVRAS aujourd’hui, plutôt que d’informer, doit ouvrir le champ des possibles dans le milieu amou­reux et rela­tion­nel. Et cela passe par un proces­sus d’éducation et de parole qui place les garçons et les filles ensemble face à leurs responsabilités.


  1. Un tiers des jeunes pensent qu’il est normal d’insister pour avoir des rapports sexuels et un cinquième des garçons pensent qu’ils ne peuvent pas être accu­sés de viol au sein d’un couple s’ils ont imposé une rela­tion sexuelle.
< Retour au sommaire