- Nicole Van Enis,
asbl Barricade
Le patriarcat, une idéologie socialement et historiquement construite
Le patriarcat est un concept bien utile pour nommer l’oppression. Forgé par des féministes des années 1970, il s’étend à l’ensemble du système dans lequel nous vivons toutes et tous, système de domination des femmes par les hommes. Chaque personne y est plongée en permanence et il est donc difficile de prendre conscience réellement des implications qu’il a sur nos vies et nos comportements.
Par définition, le patriarcat est un système dans lequel le pouvoir appartient aux hommes. Et plus exactement, selon Nicole Claude-Mathieu1, il s’agit du cumul de trois pouvoirs aux mains de la classe sociale des hommes. Bien entendu certaines femmes sur la planète ont un pouvoir politique, certaines femmes ont un pouvoir économique, des femmes héritent des terres familiales au même titre que leurs frères. Mais, selon l’anthropologue, il n’existe aucune société où ces trois pouvoirs cumulés sont aux mains de la classe sociale des femmes : le pouvoir de décision politique (occupation de la sphère publique – décision de faire la guerre, à qui et quand), le pouvoir de décision économique (répartition du surplus de la production apparu lors de l’accumulation des ressources, de leur exploitation et de la volonté de certains de s’approprier ces surplus et d’accroître leur richesse) et le pouvoir de posséder la terre (par héritage, la transmission des propriétés se faisant de père en fils). La plupart des sociétés cumulent ces trois pouvoirs aux mains des hommes même si parfois l’un ou l’autre de ces pôles est aux mains des femmes.
Dans cette histoire – qui aurait pu s’écrire autrement2 – les femmes ont des rôles bien définis, elles deviennent les reproductrices de la main‑d’œuvre, les mariages sont sources de propriété et de richesse, elles ont une valeur d’échange, une valeur marchande, leur travail domestique est « naturellement » gratuit. Dans ce système, les supposées qualités des femmes, par leur naissance, les rendent aptes aux tâches ménagères, aux soins aux personnes, enfants, personnes âgées. Ces tâches, même lorsqu’elles sont professionnalisées, sont très mal rémunérées. Les activités masculines sont toujours plus valorisées, tels les lieux de pouvoir, majoritairement encore aux mains des hommes. Même si l’on trouve des exemples de femmes politiques ou scientifiques, cheffes d’entreprise ou professeures d’université, elles restent très minoritaires.

L’idéologie patriarcale, le plus souvent acceptée par les femmes elles-mêmes comme par la plupart des hommes et couplée avec l’idéologie néolibérale, pour faire croire à la responsabilité individuelle dans les situations d’exploitation notamment, est nécessaire pour paralyser toute volonté de changer les choses, comme dans le système prostitutionnel3 par exemple. Certaines et certains pensent qu’il n’y a aucune alternative à la domination masculine, le patriarcat serait un système « naturel », l’imagination est paralysée. Les rapports entre les hommes et les femmes ne sont pourtant pas de simples relations interindividuelles. Elles s’inscrivent dans des rapports sociaux qui transcendent, qui dépassent les individus. Ces rapports ne sont pas naturellement définis mais historiquement et socialement construits. Des femmes luttent pour un changement – les féministes – mais elles rencontrent des résistances, elles sont accusées de perturber la famille, l’éducation, la société toute entière ; les féministes « font désordre ».
À la question « Comment voyez-vous l’avenir des femmes ? », Françoise Héritier, anthropologue de renom, répond : « Le modèle archaïque masculin est universel mais pas éternel. L’humanité actuelle procède des mêmes souches qui ont donné aux mêmes questions les mêmes réponses. Mais c’est un modèle créé par l’esprit. Il n’est pas là par nécessité biologique. Il peut donc être remplacé.4 »
L’analyse féministe de la subordination des femmes, notamment économique, permet de sortir d’une prédestination, d’une naturalisation de la situation et d’affirmer que cette subordination peut être vaincue par des choix politiques.
- Nicole-Claude Mathieu (coord.), L’arraisonnement des femmes. Essais en anthropologie des sexes, École des hautes études en sciences sociales, Paris, 1985.
- Voir le livre : Nicole Van Enis, Féminismes Pluriels, Éditions Aden, Bruxelles, 2012.
- Voir l’article « Prostitution, qu’apporte la réflexion féministe ? »
- Voir l'article « Il est plus dur d'être une femme que d'être un homme », consulté le 26 février 2020.