• Hervé Persain
    Hervé Persain
    administrateur du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège

Le mot du président

Pour paro­dier Albert Camus dans Les Justes, qui faisait dire à Stephan : « La liberté est un bagne aussi long­temps qu’un seul homme est asservi sur la terre », nous pour­rions dire : « L’égalité est une jungle aussi long­temps qu’une seule femme est discri­mi­née sur la terre ». En effet l’inégalité première, primale pour­rait-on dire, est celle qui se traduit par le déséqui­libre en droit, en condi­tion et en chances d’évolution entre la femme et l’homme, et cela sous toutes les lati­tudes, à toutes les époques, dans toutes les civilisations.

Les reli­gions abra­ha­miques n’ont eu de cesse d’alimenter leur œuvre de mascu­li­ni­sa­tion de la société à ses diffé­rents niveaux de pouvoir jusqu’à nos jours, relayant en cela l’état natu­rel qui donnait la préva­lence à l’homme préhis­to­rique sur la femme selon la loi du plus fort. Le rôle tenta­teur origi­nel de la femme qui remonte au mythe d’Adam et Ève consti­tue la réfé­rence ultime entrai­nant la relé­ga­tion de la femme au statut subal­terne dans une fidèle conver­gence des trois reli­gions mono­théistes, compen­sant ainsi la menace que repré­sen­tait l’évolution de l’être humain vers un être intel­li­gent, sapiens, où la force muscu­laire le cédait au savoir, à l’expérience, à la réflexion, matières où la femme pouvait enfin reven­di­quer le partage du pouvoir.

De nos jours encore la charge de ce qui touche à l’enfant et à la famille repose majo­ri­tai­re­ment sur les femmes, que ce soit quant au choix (condam­nable pour certains) qui lui revient légi­ti­me­ment de porter la gros­sesse à son terme ou non, mais aussi à la respon­sa­bi­lité de veiller à une contra­cep­tion plus sûre que celle utili­sée par les hommes, celui de veiller à l’éducation des enfants et à l’entretien de la maison… Bien sûr, quelques évolu­tions appa­raissent à force de mili­tance : le texte voté fin 2019 en commis­sion de la Justice de la Chambre propose la dépé­na­li­sa­tion de l’IVG. Mais les forces poli­tiques réac­tion­naires font ce qu’elles font de mieux par rapport à l’évolution de la société : elles freinent des quatre fers.

« L’égalité est une jungle aussi long­temps qu’une seule femme est discri­mi­née sur la terre »

Certaines avan­cées par contre ne sont pas vrai­ment suivies d’effet : le congé de pater­nité par exemple ne produira ses effets que s’il est rendu obli­ga­toire, car pour le moment, 10 % des pères n’osent pas le prendre pour ne pas déplaire à leur employeur. Le patriar­cat révèle toute sa téna­cité et sa déter­mi­na­tion, agrippé à ses trois piliers : la reli­gion, l’économie et la poli­tique. Et nous ne serons pas trop des forces mili­tantes et éclai­rées des deux sexes pour vaincre ces poches de résis­tance. Il serait malvenu de vouloir substi­tuer à une forme de domi­na­tion sexuée une sépa­ra­tion des êtres humains selon leur sexe, comme d’autres ont tenté et tentent toujours de le faire en fonc­tion des croyances ou des suppo­sées races humaines. Il ne doit y avoir aucune caste, aucune préva­lence au sein du genre humain, et l’équité est à construire ensemble, au-delà des sexes ou des particularismes.

Tout comme nous pouvons vaincre les attaques de la nature en faisant front en toute soli­da­rité mondiale, au-delà des diver­gences poli­tico-écono­miques ou philo­so­phiques, nous devons ensemble recons­truire une société équi­table pour toutes et tous, en accep­tant comme parte­naire de combat celle ou celui qui pense en termes d’évolution, sans esprit revan­chard ou désir de vengeance.

< Retour au sommaire