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Edouard Delruelle,
professeur de Philosophie politique à l’Université de Liège
Manifeste pour un Pacte social et écologique. Quel État social pour le XXIe siècle ?
Durant plus d’un an, un groupe d’experts progressistes, pluraliste, s’est penché sur l’avenir de la protection sociale. Il a rédigé un manifeste dont l’idée fondamentale est que l’État social n’est pas le problème, mais la solution aux défis qui sont devant nous. Le capitalisme néolibéral est entré dans une crise systémique, peut-être terminale, qui est en même temps, sur le plan historique et politique, une phase de bifurcation : soit la fuite en avant néolibérale se poursuit, et pour faire face au ressentiment, à la colère, le pouvoir devra adopter des formes de gouvernementalité de plus en plus sécuritaires et identitaires : c’est la voie de la post-démocratie ; soit les institutions de l’État social sont restaurées, sur base d’un pacte social à redéfinir, en vue de relever les quatre grands défis civilisationnels qui sont devant nous : la robotisation et l’informatisation de la production ; les défis environnementaux et climatiques ; l’évolution des modes de vie ; les migrations.
Mais au fait, qu’est-ce que l’État social né du Pacte social de 1944 ?
Il repose sur trois piliers : des services publics forts ; la sécurité sociale, avec ses trois branches principales (chômage, santé, retraites) ; un droit du travail attachant à l’emploi des statuts protecteurs.
Il est activé par trois dynamiques politiques : des politiques de régulation de la monnaie, du crédit et de l’investissement ; des politiques de redistribution, grâce aux cotisations sociales et à l’impôt progressif ; des politiques de concertation sociale entre interlocuteurs sociaux. Si l’on additionne les secteurs de l’éducation (8 % du PIB) et autres services publics (6 %), de la santé (10 %), des retraites (12 %), des aides sociales (5 %), c’est près de 42 % du PIB qui sont, encore aujourd’hui, soustraits à une logique strictement lucrative.
L’objectif premier de l’État social est la « démarchandisation » de toutes les activités et ressources qui permettent à chacun de mener une vie digne et de se projeter positivement dans l’avenir : « demain sera meilleur ».
Depuis quarante ans, le néolibéralisme a tenté de démanteler l’État social. Dans un premier temps (les décennies 1990 et 2000), les forces social-démocrates ont joué (à tort ou à raison) la carte du compromis : la sécurité sociale était maintenue, mais on a privatisé les services publics et « flexibilisé » le droit du travail. Mais depuis la crise de 2008, le néolibéralisme, au lieu de se modérer, est entré dans une fuite en avant destructrice. Il s’attaque aujourd’hui au cœur de l’État social : la sécurité sociale – retraites, chômage, santé.
Nous avons écrit notre texte avant le mouvement des gilets jaunes et celui des jeunes pour le climat. Or nous pensons exactement qu’il ne faut pas opposer ceux qui pensent à leurs fins de mois et ceux qui pensent à la fin du monde. Ils pointent en réalité un même phénomène, une même crise systémique ou organique du modèle néolibéral destructeur à la fois de la cohésion sociale et des équilibres écologiques et climatiques.
Ces conditions élémentaires de toute société, aujourd’hui menacées, doivent être restaurées à travers un nouveau pacte social et écologique.
Nous avons identifié quatre chantiers principaux pour un tel pacte social : offrir des protections adaptées aux nouvelles formes d’emploi nées de la « société hyperindustrielle »; accompagner la civilisation dans sa sortie indispensable du dogme aveuglément productiviste qui sous-tend la logique lucrative du capitalisme; promouvoir l’égalité femme/homme par l’individualisation des prestations sociales et émanciper les activités de soin, en pleine expansion, de la logique marchande; élaborer une véritable politique d’intégration des migrants, et travailler au niveau international, pour la plus grande convergence possible vers le haut des politiques sociales.
Ce manifeste n’est ni un programme de parti, ni un catalogue de propositions, ni … le pacte lui-même. C’est un récit pour relier notre passé (le pacte de 1944) à notre présent (la crise systémique du néolibéralisme) et à notre avenir (un État social et écologique). Un récit aussi pour mobiliser les progressistes autour de la justice sociale, autour de la nécessité de changer de paradigme, en activant sept principes : solidarité, émancipation, valeur-travail, intérêt général, développement durable, justice sociale, démocratie. Le débat public le plus large doit avoir lieu sur l’avenir de l’État social et sa transformation en État social-écologique. Le manifeste est une invitation à un tel débat.
- Chacun peut adhérer au manifeste (et le lire ou le télécharger) via le site : www.pactesocialecologique.org.