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Audrey Taets,
coordinatrice du service Solidarité
De jeunes pousses nécessaires pour faire face à l'effondrement global
Un effondrement global est « le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis (à un coût raisonnable) à une majorité de la population par des services encadrés par la loi 1 ». Il s’agit d’un processus systémique à grande échelle qui entraîne à la fois un effondrement biophysique (chute rapide de la production industrielle et agricole) et celui des structures (financière, commerciale, politique, sociale et culturelle).
De nombreux chercheurs alertent aujourd’hui l’opinion publique et les gouvernements à ce propos. Crises climatique et économique, chute de la biodiversité, pollution des écosystèmes, raréfactions des ressources naturelles, autant de signaux inquiétants nous avertissant de la complexification croissante de la société industrielle et de son incapacité à trouver des solutions aux problèmes qu’elle génère. Pour certains chercheurs, ces convergences de crises risquent de conduire in fine à un effondrement de notre système. Nous pourrions donc être confrontés, au cours du XXIe siècle, au déclin du capitalisme industriel. Pour le meilleur ou pour le pire ?
Dès 1972, Dennis Meadows2 fait part de ces scénarios d’effondrement au travers de ses recherches menées pour le Club de Rome. À partir de simulations3, il y montre déjà qu’une croissance illimitée est impossible dans un monde limité. Pour éviter une catastrophe, l’humanité doit donc changer de cap et adopter et respecter les lois de la durabilité. Or, depuis les années 1970, dans la foulée de ses travaux, de nombreux scientifiques n’ont cessé de tirer la sonnette d’alarme à ce sujet, mais le système lancé à pleine allure semble difficile à freiner. Bien au contraire, il a même « continué à accélérer au cours des Trente Glorieuses en toute connaissance de cause, détruisant à un rythme encore plus soutenu le système Terre 4 ».
Quelles sont aujourd’hui les conséquences d’une telle accélération ? Un effondrement du système est-il réellement crédible ? Si oui, à quelle échelle ?
➺ Une chose est sûre, ce sont nos valeurs d’entraide et de solidarité qui nous protégeront de la barbarie et préserveront notre humanité face à ces événements extraordinaires. Dès à présent, il nous faut tisser des réseaux de coopération et construire des modes de vie dits résilients (…)
Dressons un bref tableau de la situation au travers de quelques exemples emblématiques : la population mondiale a explosé (d’un milliard d’individus en 1830 à environ 7,5 milliards aujourd’hui) ; en un siècle, par habitant, on a multiplié par 7 la consommation d’énergie primaire5 et par 27 l’extraction de minéraux industriels ; la consommation mondiale de viande par habitant a doublé depuis 50 ans.
En résumé, nous consommons à peu près 1,5 planète par an.
Cette croissance effrénée est problématique à plusieurs égards. En matière de limite, car les ressources dont nous disposons sont, pour certaines, non renouvelables, et concernant celles qui le sont (bois, eau, aliments, etc.) nous les épuisons à un rythme trop soutenu pour qu’elles aient le temps de se régénérer. Ces limites franchies peuvent, selon les chercheurs, déstabiliser le fragile équilibre des systèmes qui maintiennent notre civilisation en vie.
Cette croissance exponentielle est aussi problématique en matière d’émission de CO2. En effet, si la lutte contre les changements climatiques est aujourd’hui un objectif partagé par la plupart des États, les discussions portant sur les moyens politiques, humains et financiers à déployer pour y parvenir ne progressent que difficilement. Les implications économiques de tels projets n’y sont pas étrangères.
Les conséquences de cette inertie face au changement à mettre en œuvre sont nombreuses : élévation des températures et du niveau des mers, fonte des glaciers, insécurité alimentaire, chute de la biodiversité, tensions sociales et géopolitiques, pollution des écosystèmes, etc 6.
La réponse de Dennis Meadows et de tous ceux qui travaillent sur ces questions de basculement systémique actuellement 7 : « Il est peu probable que nous arrivions à éviter un effondrement de la société capitaliste industrielle au cours du XXIe siècle ». Ce processus, fait de chocs à répétition, d’intensités différentes dans le monde, ébranlera les équilibres géopolitiques et entrainera, à terme, un déclin global. Certains postulent même que nous y sommes déjà.
Si la lutte contre les changements climatiques est aujourd'hui un objectif partagé par la plupart des États, les implications économiques nécessaires freinent considérablement le changement.
Alors que faire ? Actuellement, face à ces scénarios, nous avons encore la possibilité de nous préparer aux chocs (économiques, écologiques) pour qu’ils créent le moins de souffrance possible. Il s’agit, selon Emmanuel Prados8, d’en atténuer la violence et de ne pas descendre trop bas dans le déclin (éviter le scénario du pire, par exemple en termes de réchauffement climatique). Tout cela demande des actions politiques coordonnées, volontaristes et fortes, ainsi qu’une prise de conscience collective quant à nos modes de vie. Certains pensent qu’il est déjà trop tard pour le développement durable, d’autres qu’il faut amorcer une lente décroissance. Difficile de trancher devant ces divers positionnements. Comprendre n’est qu’une partie du chemin et rien n’est joué d’avance. Une chose est sûre, ce sont nos valeurs d’entraide et de solidarité qui nous protégeront de la barbarie et préserveront notre humanité face à ces événements extraordinaires. Dès à présent, il nous faut tisser des réseaux de coopération et construire des modes de vie dits résilients (moins complexes, plus modestes). La transformation est là, palpable par tous ceux qui portent des projets de transition, de jeunes pousses, créatrices d’un autre imaginaire de vivre ensemble.
- Y. Cochet, L’effondrement, catabolique ou catastrophique ?, Institut Momentum, 27 mai 2011.
- Dennis Meadows est physicien. Il a commencé sa carrière au Massachusetts Institute of Technology à la fin des années 1960. Professeur émérite de l’Université du New Hampshire, il est l’auteur du Rapport Meadows en 1972, Limits to Growth, première modélisation globale des dangers écologiques de la croissance économique et démographique.
- À travers un modèle numérique (modèle World3), Dennis Meadows a fait des simulations sur l’évolution de nos sociétés. Il est utile de rappeler que ces modèles ne font pas de prédictions concernant l’avenir, ils décrivent des scénarios possibles et la probabilité de ceux-ci d’advenir.
- P. Servigne, R. Stevens, Comment tout peut s’effondrer, Éditions du Seuil, avril 2015, p.23.
- L'énergie primaire est l'énergie disponible dans l'environnement et directement exploitable sans transformation (pétrole brut, charbon, gaz naturel, etc.).
- Voir à ce sujet le livre de Lester Brown, Le plan B, pour un pacte écologique mondial, Hachette, 2008.
- Voir à ce sujet les chercheurs et organismes qui travaillent sur ces questions aujourd’hui (la collapsologie) tels que Pablo Servigne, Adrastia, l’Institut Momentum, etc.
- Chercheur à l’INRIA, équipe STEEP (Soutenabilité, Territoires, Environnement, Economie et Politique).