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Pierre Verjans,
politologue à l’ULiège
Quatre mois avant les grands chamboulements ?
À l’occasion de la préparation des candidatures pour les élections communales du mois d’octobre 2018, assiste-t-on à une augmentation des listes ne faisant pas référence à un parti dit « national » ?
En 2012, une recherche interuniversitaire sur les élections communales avait comptabilisé 45 % des listes utilisant le nom d’un parti national en Wallonie et 69 % en Flandre. Les autres listes utilisaient les noms locaux, les concepts d’union ou d’alliance, de changement, des noms de personnes ou du bourgmestre, du futur, des citoyens ou de la démocratie, ou encore faisaient référence à la Wallonie ou à la Belgique. Les quatre grands partis avaient finalement totalisé 79 % des voix1. En outre, on a constaté qu’il y avait eu plus de listes aux élections provinciales qu’aux élections communales.

Au mois de mars 2018 ont eu lieu aux Pays-Bas des élections communales dont le résultat le plus spectaculaire est le succès des listes locales. Ces listes sont passées de 28 % il y a quatre ans, à 33 % cette année. La fragmentation politique observée en Belgique depuis 2010 ayant été anticipée aux Pays-Bas, nous pouvons nous pencher un peu sur ces élections pour tenter de comprendre le succès de ces listes. Quelques hypothèses explicatives de ce succès : Premièrement, le fait que les partis nationaux seraient pris en tenaille entre ce qu’ils analysent comme les exigences de la mondialisation et de la concurrence entre territoires que celle-ci implique d’un côté, et les besoins très locaux des habitants, qui cherchent une oreille attentive à leurs préoccupations directes et quotidiennes de l’autre. Les listes nationales ne pourraient éviter de décevoir par une politique nationale de limitation des dépenses, tandis que les listes uniquement locales auraient beau jeu de dénoncer les restrictions et mesures d’austérité imposées aux pouvoirs locaux. Deuxièmement, une présence des élus des listes locales limitée aux rues de leur quartier (et non dans les bureaux de la capitale) leur donnerait une capacité d’entendre les besoins des habitants que l’on croyait avoir disparu dans les réseaux sociaux et la globalisation médiatique. Troisièmement, certains électeurs, relativement fidèles à un parti au niveau national, plébisciteraient en outre plus facilement une liste locale pour exprimer leurs attentes. Quatrièmement, autre phénomène enregistré chez nos voisins du Nord : les fusions volontaires de communes, favorisées pour des raisons d’économie d’échelle, auraient provoqué des frustrations des anciennes communes qui se seraient senties abandonnées. Des partis locaux se sont dressés contre ces abandons des périphéries.
Armés de ces réflexions de politologues néerlandais, nous pouvons nous demander si nous ne nous trouvons pas dans une phase de reconfiguration rapide du système politique, entre des contraintes intériorisées par les partis traditionnels et des demandes populaires d’encadrement et de protection adressées à l’État au sens large. Le système politique français a été bouleversé l’an dernier, le système politique britannique est bancal, le système politique allemand a accouché d’une coalition de sauvetage qui ne présage rien de rassurant pour les élections suivantes. Le système politique italien est à la dérive. Le système politique américain a été victime d’une OPA hostile contre le parti républicain.
(…) une présence des élus des listes locales limitée aux rues de leur quartier (et non dans les bureaux de la capitale) leur donnerait une capacité d’entendre les besoins des habitants que l’on croyait avoir disparu dans les réseaux sociaux et la globalisation médiatique.
Depuis 2010, le système politique belge est dominé par un parti séparatiste et les trois partis traditionnels ensemble n’ont plus atteint le score de 50 % des électeurs depuis lors. Depuis 1919, les résultats des élections législatives belges offrent un paysage en trois phases : la première, jusque 1961, montre les trois partis traditionnels à 76 % ; de 1965 à 2007, déclin des partis traditionnels concurrencés par les partis régionalistes, écologistes puis nationalistes et enfin, depuis 2010, une fragmentation surtout en Flandre. Les sondages, depuis décembre 2016, montrent que ce serait également le cas en Wallonie, du même ordre peut-être que ce qui existe en Flandre. L’augmentation probable du nombre de petits partis signale clairement que les partis politiques nationaux se trouvent de plus en plus en position instable.
Les données internes et externes poussent à imaginer un « grand chambardement » même si les élections communales étaient jusqu’ici marquées par la stabilité.
- Régis DANDOY, Jérémy DODEIGNE, Geoffrey MATAGNE, Min REUCHAMPS (dir.), Les élections communales de 2012 en Wallonie, VandenBroele, Bruges, 2013, pp.37 et 161.