• Marco Martiniello
    Marco Martiniello
    directeur du Centre d’Étude de l’Ethnicité et des Migrations

Le vote communautaire : réalité ou fiction ?

La ques­tion est d’autant plus inté­res­sante que dans notre système poli­tique fédé­ral régio­na­lisé, le vote commu­nau­taire est d’une certaine manière la règle sauf en région bruxel­loise (seuls les élec­teurs bruxel­lois peuvent choi­sir de voter pour des candi­dats fran­co­phones ou néer­lan­do­phones). Étran­ge­ment, lorsqu’on parle du « vote commu­nau­taire », ce n’est géné­ra­le­ment pas à cette réalité que l’on fait réfé­rence mais essen­tiel­le­ment à la manière de voter des élec­teurs étran­gers et des descen­dants d’immigrés. Une idée diffuse, et en même temps d’autant plus tenace, est que ces élec­teurs tendent à voter pour des candi­dats de la même origine natio­nale ou ethnique, de la même couleur de peau ou de la même reli­gion. Compte tenu de la démo­gra­phie locale et de la situa­tion géopo­li­tique mondiale, c’est aujourd’hui en premier lieu la ques­tion du vote musul­man qui fait peur, et qui est agitée notam­ment par l’extrême droite.


Qu’en est-il réel­le­ment du vote dit « commu­nau­taire » aux élec­tions commu­nales en Belgique ? Les recherches scien­ti­fiques dispo­nibles appellent à une réponse nuan­cée à cette ques­tion. D’une part, on ne peut certai­ne­ment pas affir­mer que les élec­teurs étran­gers ou descen­dants d’immigrés votent systé­ma­ti­que­ment pour des candi­dats censés appar­te­nir à la même commu­nauté, natio­nale, ethnique, « raciale » ou reli­gieuse. D’un autre côté, on ne peut pas non plus affir­mer qu’une même appar­te­nance commu­nau­taire ne joue aucun rôle dans le choix élec­to­ral. Les moti­va­tions du compor­te­ment élec­to­ral sont nombreuses, complexes et pas toujours ration­nelles, quelle que soit la frac­tion de l’électorat que l’on envisage.

La tâche de la recherche est d’étudier les facteurs suscep­tibles de favo­ri­ser et d’expliquer le déve­lop­pe­ment d’un compor­te­ment élec­to­ral propre à une partie de l’électorat – dans ce cas, les commu­nau­tés. Il existe deux ensembles de facteurs dont l’interaction pourra éven­tuel­le­ment contri­buer l’émergence d’un « vote commu­nau­taire » : primo, la concen­tra­tion rési­den­tielle, la densité des réseaux sociaux, les expé­riences parta­gées de discri­mi­na­tion et la forma­tion d’élites poli­tiques au sein des commu­nau­tés ; secundo, les carac­té­ris­tiques du système élec­to­ral telles que les règles d’inscription sur les listes élec­to­rales, les systèmes de scru­tin majo­ri­taire ou propor­tion­nel, les règles de déter­mi­na­tion des circons­crip­tions élec­to­rales, etc. Les facteurs du premier ensemble jouent un rôle crucial dans le vote commu­nal qui, par défi­ni­tion, est un vote de proxi­mité, où les person­na­li­tés connues et appré­ciées ont une plus grande proba­bi­lité de gagner des voix qui appa­raî­traient d’autant plus commu­nau­taires que l’homogénéité rési­den­tielle est forte.

En conclu­sion, rien ne permet de dire que la même appar­te­nance commu­nau­taire est la variable prin­ci­pale qui explique le compor­te­ment élec­to­ral des étran­gers et des descen­dants d’immigrés. Rien ne permet non plus d’écarter cette variable dans l’explication du choix élec­teur posé par ces citoyens. Enfin, rien ne justi­fie scien­ti­fi­que­ment que certaines forma­tions bran­dissent la menace d’un vote commu­nau­taire sur notre système démo­cra­tique à des fins pure­ment électoralistes.

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