• Quentin Pironnet
    Quentin Pironnet
    assistant et maître de conférence en droit constitutionnel à l’ULiège
Propos recueillis par Arnaud Leblanc

Quel avenir pour les Provinces ?

Quen­tin Piron­net est cher­cheur et maître de confé­rence en droit consti­tu­tion­nel à l’Université de Liège. Il est l’un des auteurs d’une étude sur l’avenir des provinces wallonnes1. Une étude qui remet en pers­pec­tive les éléments de débat sur la dispa­ri­tion du niveau poli­tique provincial.

Salut & Frater­nité : Les provinces sont-elles vouées à disparaître ?

Quen­tin Piron­net : La fin des provinces est évoquée depuis des décen­nies. Pour­tant le sujet ne semble pas avan­cer. Leurs missions et leur orga­ni­sa­tion sont suscep­tibles d’évoluer mais, selon moi, les provinces en tant qu’institution ont encore de beaux jours devant elles.

 

S&F : Que leur reproche-t-on ?

Q.P. : Les récri­mi­na­tions sont diverses. D’aucuns leur reprochent d’abord d’être un pouvoir méconnu. Elles sont ensuite jugées opaques et, fina­le­ment, elles sont consi­dé­rées comme un niveau de pouvoir de trop dans notre Belgique fédé­rale. Ces reproches méritent d’être remis en perspective.

Tout d’abord, d’un point de vue du droit, la connais­sance d’un niveau de pouvoir ne dépend pas léga­le­ment de lui. C’est une ques­tion de commu­ni­ca­tion qui relève des poli­tiques. À eux d’investir cet éche­lon de pouvoir et de le mettre en valeur.

Quant à l’opacité, il s’agit ici plus d’un mythe que d’autre chose. Léga­le­ment, elles subissent un double contrôle sérieux : celui de la tutelle régio­nale et celui de la Cour des comptes. Ce sont des organes de véri­fi­ca­tion parti­cu­liè­re­ment contrai­gnants, notam­ment au niveau financier.

La dernière récri­mi­na­tion, bien que poli­tique, est, à mon sens, plus ration­nelle. Avec les communes, les régions, les commu­nau­tés et le pouvoir fédé­ral, les provinces rajoutent une strate dans la lasagne poli­tique de notre pays. Il s’agit ici plus spéci­fi­que­ment d’une ques­tion poli­tique sur l’organisation de la Belgique.

S&F : Quelles sont les pistes de réforme envisageables ?

Q.P. : Tout d’abord, il est impor­tant de préci­ser que l’étude que nous avons menée réflé­chit à droit constant (NDR : c’est-à-dire sans modi­fi­ca­tion profonde de la Consti­tu­tion et des lois spéciales). Ainsi, nous avons choisi d’imaginer des scéna­rios qui évitent de négo­cier avec les partis néer­lan­do­phones, excluant de ce fait toute réforme de l’État et toute modi­fi­ca­tion de la Consti­tu­tion ou de loi spéciale. Cela nous permet d’imaginer les pistes réali­sables avec une majo­rité simple ou des deux tiers à la Région wallonne, à la Commu­nauté fran­çaise et éven­tuel­le­ment à Bruxelles. Dans ce cadre, la suppres­sion et le rempla­ce­ment des provinces est possible mais elle entraîne un certain nombre d’obstacles que nous avons mis en lumière.

À titre d’exemple, dans le cas d’une suppres­sion des provinces, toutes les missions exer­cées devraient être reprises par les autres niveaux de pouvoir qu’il s’agisse de l’autorité fédé­rale, de la Commu­nauté fran­çaise ou de la région. Au niveau finan­cier, ce scéna­rio ne pose pas de problème pour le fédé­ral et la région qui ont la compé­tence pour lever des impôts. Ce n’est pas le cas de la Commu­nauté fran­çaise, qui ne pour­rait donc pas endos­ser la masse budgé­taire dépen­sée par les Provinces dans les matières commu­nau­taires, soit plus d’un demi-milliard d’euros. C’est un obstacle essen­tiel à prendre en compte.

(…) dans le cas d’une suppres­sion des provinces, toutes les missions exer­cées devraient être reprises par les autres niveaux de pouvoir qu’il s’agisse de l’autorité fédé­rale, de la Commu­nauté fran­çaise ou de la région. Au niveau finan­cier, ce scéna­rio ne pose pas de problème pour le fédé­ral et la région qui ont la compé­tence pour lever des impôts. Ce n’est pas le cas de la Commu­nauté française,

Deuxième scéna­rio imagi­nable, il est possible de réfor­mer les provinces et de redis­tri­buer les compé­tences vers la région par un décret à majo­rité simple. En plus des compé­tences du loge­ment et de l’énergie, déjà reprises en 2014, la Région wallonne pour­rait récu­pé­rer faci­le­ment les matières régio­nales comme l’économie, l’agriculture, le tourisme, la santé, les voies et cours d’eau, le patri­moine classé, les infra­struc­tures spor­tives, etc.

En ce qui concerne la gouver­nance, nous propo­sons de réduire le nombre d’asbl provin­ciales en plafon­nant le montant maxi­mum qu’une province peut affec­ter à une ou plusieurs asbl. Des régies provin­ciales, soumises à la tutelle de la région et au contrôle de la Cour des comptes, récu­pé­re­raient les missions de service public assu­mées actuel­le­ment par des asbl.

L’étude que nous avons menée a pour objec­tif d’éclairer sur les possi­bi­li­tés qui s’offrent au monde poli­tique à l’avenir. Elle montre des possibles en la matière ainsi que les obstacles qui se dres­se­ront en fonc­tion des choix opérés.


  1. Retrou­vez l’étude complète ici : http://​hdl​.handle​.net/​2​2​6​8​/​2​2​2​834
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