• David Scholpp
    David Scholpp
    enseignant en psychopédagogie et chercheur au sein du Service de Soutien à la Recherche et aux Innovations (SSRI)
  • Thomas Herremans
    Thomas Herremans
    administrateur de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente - Liège

Plaisir d’enseigner, plaisir d’apprendre

Plutôt que d’être envi­sagé comme « le petit plus » qui rendra digeste toute situa­tion d’apprentissage, le plai­sir devrait en consti­tuer l’ingrédient prin­ci­pal. Il n’est qu’à analy­ser le moteur qui pousse chacun, dès la petite enfance puis tout au long de la vie, à effec­tuer une infi­nité d’apprentissages, si variés et complexes soient-ils (marcher et parler, saisir et utili­ser des objets), la plupart du temps avec aisance et sans encombre, en obser­vant, en faisant des essais, des erreurs, en expé­ri­men­tant. Ce moteur natu­rel, c’est le désir. Le désir de savoir, de comprendre, d’interagir avec nos pairs et notre envi­ron­ne­ment ; assou­vir ce désir est source de plai­sir. Le plai­sir d’avoir grandi, que ce soit par la satis­fac­tion d’un besoin, le dépas­se­ment d’une diffi­culté ou l’appréhension d’une nouvelle « face du monde ». Aussi, comme vendre et ache­ter, ensei­gner et apprendre paraissent indis­so­ciables. Partons dès lors du prin­cipe que le plai­sir que l’enseignant éprou­vera à exer­cer son métier sera inti­me­ment lié à celui de ses élèves, et inversement.


Comment alors, en classe, s’inspirer de cet élan inlas­sable à l’origine de ces innom­brables appren­tis­sages pour envi­sa­ger ceux qui s’effectueront à l’école ? Comment concrè­te­ment établir un espace où le plai­sir occu­pe­rait une place centrale ?

La qualité de la rela­tion privi­lé­giée que l’enseignant tisse puis entre­tient avec chacun de ses élèves et avec le groupe est d’importance capi­tale. C’est à lui que revient de créer un climat de classe serein, agréable, sécu­ri­sant, où chacun se sent en confiance, écouté, soutenu, légi­time, impor­tant, aimé. La construc­tion de cette rela­tion repose notam­ment sur les nombreux espaces d’expressions qui seront aména­gés, sur la sincé­rité de l’intérêt qu’il portera aux inter­ven­tions des élèves, sur l’authenticité et la bien­veillance dont il fera preuve dans ses inter­ac­tions avec eux, sur l’autorisation qu’il leur donnera de se trom­per et de se trom­per encore car c’est ainsi qu’on avance, sur la trans­pa­rence de ses inten­tions, ou encore sur la place qu’il concé­dera à l’humour ou à l’expression des ressen­tis person­nels… En somme, tout ce qui leur permet­tra d’envisager cette rela­tion comme étant véri­ta­ble­ment amicale.

(…) la plupart des péda­gogues affirment qu’enseigner ne peut plus aujourd’hui se limi­ter à trans­mettre un savoir, une infor­ma­tion. En effet, dans cette concep­tion clas­sique de l’enseignement, où le savoir est au centre de la rela­tion péda­go­gique, l’apprenant est prin­ci­pa­le­ment passif (..)

Concer­nant les métho­do­lo­gies envi­sa­gées à propre­ment parler, la plupart des péda­gogues affirment qu’enseigner ne peut plus aujourd’hui se limi­ter à trans­mettre un savoir, une infor­ma­tion. En effet, dans cette concep­tion clas­sique de l’enseignement, où le savoir est au centre de la rela­tion péda­go­gique, l’apprenant est prin­ci­pa­le­ment passif : il écoute, il prend des notes. Son champ d’action est limité et il n’a aucun espace de liberté. Sans doute éprouve-t-il peu de plai­sir. Aujourd’hui, les péda­go­gies alter­na­tives (Montes­sori, Frei­net, Stei­ner, Decroly et bien d’autres) proposent un tout autre modèle en plaçant l’apprenant au centre de l’action péda­go­gique. Elles obligent l’école à se réin­ven­ter et trans­forment consi­dé­ra­ble­ment l’acte d’enseignement. Si l’enseignant détient toujours le savoir, il ne doit plus le trans­mettre à l’élève, il doit mettre en place des situa­tions péda­go­giques afin que celui-ci construise son propre savoir en bougeant, en expé­ri­men­tant, en coopé­rant, en cher­chant. Aucun enfant du monde n’a voca­tion à être assis, à se taire et écou­ter toute la jour­née. Toute idée de trans­mis­sion n’est cepen­dant pas à écar­ter. Dans l’interrelation qui lie les savoirs, les élèves et l’enseignant, ce dernier peut incar­ner un rôle de mentor, d’un compa­gnon de route expé­ri­menté qui guide et aiguille mais qui pourra aussi ponc­tuel­le­ment répondre sans détour aux quan­ti­tés de ques­tions que (se) posent sans cesse tous les enfants. Parta­ger sa connais­sance et rendre expli­cite la joie occa­sion­née par les réponses obtenues.

Toujours dans cette quête de plai­sir, il est égale­ment impor­tant de réen­vi­sa­ger le concept de travail. Réas­so­cier la notion de plai­sir à celles de rigueur, de persé­vé­rance, de préci­sion, de concen­tra­tion que de trop nombreuses pratiques scolaires ont fini par mettre en oppo­si­tion : le plai­sir d’un côté, le travail de l’autre. Propo­ser de vrais défis communs ou person­na­li­sés, à la hauteur des élèves, et leur donner un panel d’outils qui leur permet­tront de les rele­ver. Le senti­ment de fierté éprouvé en ces occa­sions sera décu­plé si l’enfant s’est senti libre dans le choix de l’utilisation des outils propo­sés, s’il a pu mettre beau­coup de lui, de sa personne, de ce qu’il aime, de ce qu’il maîtrise déjà dans sa réali­sa­tion ; et qu’ensemble, on s’est émer­veillé de son succès. Il est impor­tant que tous expé­ri­mentent le plus souvent ce senti­ment de compé­tence, de victoire, qu’ils en connaissent la saveur. Ils en sorti­ront assu­ré­ment avec l’envie d’en rele­ver de plus grands et ce avec une auto­no­mie croissante.

(…) il est égale­ment impor­tant de réen­vi­sa­ger le concept de travail. Réas­so­cier la notion de plai­sir à celles de rigueur, de persé­vé­rance, de préci­sion, de concen­tra­tion que de trop nombreuses pratiques scolaires ont fini par mettre en oppo­si­tion : le plai­sir d’un côté, le travail de l’autre.

Il semble par ailleurs porteur de privi­lé­gier des évalua­tions forma­tives qui se centrent prin­ci­pa­le­ment sur l’analyse des proces­sus plutôt que sur les résul­tats, sur les évolu­tions person­nelles plutôt que sur les perfor­mances, et ceci en expli­ci­tant systé­ma­ti­que­ment nos objec­tifs et ambi­tions. Au-delà de l’intérêt intel­lec­tuel que comporte ce choix, cette manière de procé­der évitera que la confiance établie entre l’enseignant et ses élèves ne soit rompue par la sanc­tion du bic rouge qui souvent est perçue comme injuste et violente par ces derniers et qui, toujours, inhibe leur créativité.

Ce sont là quelques pistes qui permettent aux élèves de se réjouir de venir à l’école, de parta­ger avec l’enseignant leurs décou­vertes, leurs inspi­ra­tions et leurs émer­veille­ments, d’avoir envie de se dépas­ser, de s’accomplir un peu plus chaque jour, de s’ouvrir et de s’épanouir, toujours plus et avec un vrai plaisir.

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