• Chris Paulis
    Chris Paulis
    docteure en Anthropologie à l’ULiège

Le plaisir sous bien des formes

Le plai­sir ? Un des buts prin­ci­paux dans la vie. Du moins, pour ceux qui ont la possi­bi­lité ou les moyens d’y prétendre, de le reven­di­quer, qui ayant le ventre plein et le moyen de le remplir, sont en état de le recher­cher. Alors que celui qui meurt de faim est dans une souf­france qui ne lui permet pas même de l’imaginer.


Le plai­sir est multiple et divers. Asso­cié faci­le­ment au loisir, au luxe ou à la sexua­lité, il est souvent opposé à la raison. Il accom­pagne bien plus les concepts de liberté et de choix que ceux d’enfermement ou d’impératif. Irra­tion­na­lisé par les uns, il est construc­tible aux yeux des autres. Certains recherchent LE plai­sir, tel le plai­sir éprouvé par l’aîné qui regarde fière­ment sa famille. Ou par celui qui attend l’orgasme suprême qui le laisse souriant et béat. D’autres parlent des petits plai­sirs quoti­diens ; croquer du choco­lat, se coucher dans un lit chaud, manger tous les jours ou bien avoir du travail, pas de crédit, un réseau social.

Le plai­sir n’est pas satisfaction

Le plai­sir, c’est le conten­te­ment. Il est asso­cié, parfois même confondu, avec le bonheur ou avec la satis­fac­tion. Le plai­sir se trouve dans tous les domaines de la vie, privés et publics. À tout âge. Le plai­sir physique c’est autant le fait de se trou­ver beau que la pratique d’un sport, se surpas­ser ou gagner, s’épanouir en chan­tant ou avoir un orgasme. Le plai­sir fami­lial c’est autant d’être en couple que d’avoir des enfants sans problème, d’être fier de ses parents, de prépa­rer un repas pour tous ou de manger ensemble.

Le plai­sir revêt des formes diffé­rentes en fonc­tion des cultures, des genres ou simple­ment des indi­vi­dus. Photo by Clem Onojeg­huo on Unsplash

Le plai­sir parti­cipe de la socia­li­sa­tion, à l’école, dans le fait d’apprendre, d’avoir des copains, des ensei­gnants qui inté­ressent, dans les entraî­ne­ments d’un club, en fréquen­tant le conser­va­toire, en bus ou en train, dans la rencontre des gens qu’on aime ou de belles personnes, etc. Tout peut appor­ter du plai­sir ; tout peut être plai­sir. Certaines personnes mènent un combat effréné pour le trou­ver, parfois à tout prix. Le plai­sir d’avoir ce qui est rare et cher, de possé­der ce que l’autre n’a pas, d’engranger de l’argent, à l’influence, voire en le volant. Plai­sir de la trans­gres­sion. D’autres prennent des risques, mettant leur vie, parfois celles des autres en danger ; le plai­sir de la vitesse sur les routes, l’escalade du mont Blanc pour un néophyte, le ski en hors piste, les bords de plage en motos marines… ou lorsque le plai­sir du jeu entraîne ruine et mise en diffi­culté de la famille.

Le plai­sir du luxe est vanté dans notre société capi­ta­liste, les gens sont pous­sés au consu­mé­risme, et beau­coup y cèdent même sans plai­sir. S’acheter du plai­sir sans en avoir du plai­sir ! D’autres trouvent leur plai­sir dans la margi­na­li­sa­tion, l’originalité, la diffé­rence, qui est mis à rude épreuve quand il n’est pas condamné et rejeté par les autres. Le plai­sir est socia­le­ment contrôlé. Plai­sirs licites ou illi­cites, variant d’une société à l’autre. À moins de trou­ver son plai­sir dans la trans­gres­sion et le risque, on ne peut tout faire pour le plai­sir. Ce qui protège – en partie – le groupe des plai­sirs déviants, dange­reux, fatals, plai­sirs procu­rés par l’excès d’alcool, les médi­ca­ments, les drogues, plai­sirs procu­rés par l’abus de l’autre, la contrainte, la violence.

Le plai­sir du luxe est vanté dans notre société capi­ta­liste, les gens sont pous­sés au consu­mé­risme, et beau­coup y cèdent même sans plai­sir. S’acheter du plai­sir sans en avoir du plaisir !

Le même plai­sir est loin de satis­faire tous les indi­vi­dus, d’être partagé et compris par tous : dégus­ter un steak dégoûte les végé­ta­riens, manger un repas de légumes n’amuse pas un carni­vore. Nombre de personnes et de pays refusent tout autre plai­sir sexuel qu’hétérosexuel. Beau­coup suivent l’idée que le plai­sir se mérite, par l’effort, le sacri­fice, le travail, et qu’il n’y a pas de plai­sir dans l’inaction, le temps mort, la paresse. Le plai­sir serait alors une sorte de récom­pense morale. D’autre part, se déve­loppe para­doxa­le­ment dans nos cultures, un droit au bien-être person­nel qui passe par le fait de prendre du temps pour soi pour se faire plai­sir. En retrou­vant le contact avec la nature, lire un livre appuyé à un arbre, regar­der les nuages couché dans l’herbe. Retrou­ver le plai­sir de faire des petites choses, calme­ment, à son rythme. Plai­sir dans ce qu’on possède.

Socié­tés para­doxales et multiples. Les uns s’opposant sans cesse à une pensée unique qui semble nous être impo­sée. Liberté qui désap­prouve qu’une femme dise ne pas trou­ver de plai­sir dans le fait d’être enceinte, qui met des doutes sur l’innocence d’un insti­tu­teur qui dit travailler en mater­nelle avec grand plai­sir, qui labelle et sépare les plai­sirs intel­lec­tuels et manuels. Mais prône le droit au plai­sir comme une obli­ga­tion. Prends du plai­sir ! Tout en cher­chant à nous convaincre que le plai­sir relève avant tout des affects et des sens mais que le plus grand plai­sir… est d’en donner aux autres.

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