• Renaud Erpicum
    Renaud Erpicum
    coordinateur au service Actions locales de Seraing

Le plaisir comme outil d’intégration sociale, coup de projecteur local

Le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège a organisé un service Actions locales actif dans le quartier du Molinay à Seraing depuis 1998. Entre autres projets, celui-ci y développe notamment un projet d’approche intégrée de l’enseignement et de l’éducation ainsi que la parade des Fiéris Féeries.


Or, « ce qui fait lien quand on vit au Molinay, qui se trouve être le résultat tant d’une posture du public que du regard que l’extérieur jette sur lui, c’est le caractère marginalisé de sa population. Être clandestin, ne pas parler le français, ne pas avoir ou ne pas trouver d’emploi, être endetté, être d’origine immigrée, éprouver des difficultés financières, être issu d’un milieu social défavorisé, vivre dans un quartier ghetto, chacun de ces éléments, à sa manière, est un tremplin vers le statut de marginal, c’est-à-dire de personne mise entre parenthèses, ne comptant plus aux yeux de la société. C’est être sans avenir1 ».

Notre public marginal vit donc, par définition, au bord, à la frontière. Dans certains cas, sur le fil ; il est sur le point de basculer. Dans ce contexte, la question du plaisir pourrait presque apparaître incongrue si elle n’était pas si étroitement liée à la nature même de la marginalisation c’est-à-dire à la non reconnaissance des besoins d’une part de la population.

Et pourtant, le plaisir n’est pas loin. Au contraire, il est même un levier de changement, un outil de transformation, un formidable ticket pour un second tour pour peu qu’on lui laisse l’opportunité d’éclore une première fois.

C’est que le plaisir naît entre autres de la satisfaction de nos besoins. Maslow et sa pyramide organisent les besoins en cinq catégories consécutives (besoins physiologiques ; besoins de sécurité ; besoins d’appartenance ; besoins d’estime ou de reconnaissance ; besoins d’accomplissement ou de réalisation de soi) mais trop peu de personnes semblent prendre la juste mesure de l’incapacité à se projeter dans un besoin tant que le précédent n’est pas satisfait. Or, dans un quartier comme le Molinay, une part de la population se réveille chaque matin en se demandant si elle pourra rester sur le territoire (besoin de sécurité), voire ce qu’elle va trouver à manger ou si elle pourra se chauffer (besoins physiologiques). Plongée dans des logiques de survie, elle ne peut que difficilement laisser de la place à autre chose. Et pourtant, le plaisir n’est pas loin. Au contraire, il est même un levier de changement, un outil de transformation, un formidable ticket pour un second tour pour peu qu’on lui laisse l’opportunité d’éclore une première fois.

C’est là la logique de travail des équipes du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège sur le quartier du Molinay : aller à la rencontre du public marginalisé avec une offre de services au moins égale si pas supérieure à celle dont peut bénéficier la plus grande part favorisée de la population. Il s’agit de permettre aux participants d’expérimenter un environnement où l’intégralité de leurs besoins est prise en compte et gager que le plaisir qui en découlera leur donnera envie d’y revenir et, par extension, de devenir eux-mêmes les acteurs de leur évolution, de leur émancipation.

On retrouve la même pertinence et la même volonté de travailler avec le plaisir comme levier de mobilisation et d’intégration dans la trame même des interactions qui se nouent entre les participants et les animateurs. Étymologiquement, en animation, tout est affaire de mouvement. Il s’agit de donner de la vie, de créer une impulsion. Cette posture de travail adoptée par les équipes se base sur la transmission d’un enthousiasme contagieux. Rencontrer un animateur, c’est être en relation avec quelqu’un qui manifeste du plaisir à être là, à faire ce qu’il fait. C’est donc être confronté à un exemple positif qui donne envie d’y revenir !

La logique de travail des équipes du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège dans le quartier du Molinay permet aux participants d’expérimenter un environnement où l’intégralité de leurs besoins est prise en compte.

En matière de relations, savoir faire preuve de cohérence permet de renforcer l’impact des discours et de neutraliser un éventuel sentiment d’injustice. Ainsi, nous considérons que l’animateur est toujours un exemple pour son public.

Savoir faire preuve de congruence est plus qu’un atout, c’est un prérequis incontournable. En effet si l’on vise une participation enthousiaste et positive du public, si l’on prétend que le plaisir est à la source des apprentissages et qu’il donnera envie d’y revenir, encore nous faut-il, à nous animateurs, enseignants, éducateurs, formateurs, accueillants et autres, être capables de véhiculer nous-mêmes ces vecteurs de satisfaction. Pour que nos actes viennent illustrer nos paroles et les renforcer durablement dans l’esprit des participants.


  1. Collectif, Une approche intégrée de l’enseignement et de l’éducation. Carnet de bord d’une expérience de terrain, édition du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, 2015.
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