• Valérie Lootvoet
    Valérie Lootvoet
    directrice de l’Université des Femmes
Propos recueillis par Grégory Pogorzelski

Différences hommes-femmes ? Une question d’éducation avant tout !

Jour­na­liste et socio­logue de forma­tion, Valé­rie Loot­voet est direc­trice de l’Université des Femmes. Elle s’intéresse avec nous à l’opposition entre l’inné et l’acquis dans les débats sur les rapports entre hommes et femmes.


Salut & Frater­nité : Quand on parle des hommes et des femmes, deux discours s’opposent : d’un côté la nature et les diffé­rences biolo­giques irré­duc­tibles et, de l’autre, la culture et l’influence de la société…

Valé­rie Loot­voet : En géné­ral, l’approche natu­ra­liste est la norme. Elle se base sur l’évidence : ça se voit de l’extérieur, que les hommes et les femmes sont diffé­rents. Cette approche se retrouve parfois – rare­ment – dans les discours fémi­nistes. Je pense notam­ment au courant essentialiste.

L’approche cultu­ra­liste, elle, ne nie pas les diffé­rences – bien sûr qu’elles existent – mais ne les attri­bue pas à une diffé­rence de nature, d’essence immuable. Ces diffé­rences biolo­giques sont mineures : si les hommes et les femmes se comportent à ce point diffé­rem­ment, c’est surtout le fruit de l’influence de la société.

Ces diffé­rences biolo­giques sont mineures : si les hommes et les femmes se comportent à ce point diffé­rem­ment, c’est surtout le fruit de l’influence de la société.

S&F : Sous quelle forme retrouve-t-on le plus souvent ce discours naturaliste ?

V.L. : Dans tous ces discours sur la complé­men­ta­rité. Les hommes et les femmes seraient dans la vie quoti­dienne comme dans les rela­tions sexuelles hété­ros. Ils seraient « emboî­tés » et plus ils « s’emboîteraient », plus ils vivraient en harmo­nie aussi bien en couple qu’en société.

Mais il s’agit d’une fausse évidence. Ces fameuses diffé­rences biolo­giques censées nous rendre complé­men­taires ont une influence minime sur notre vie. Les diffé­rences sociales ont un impact bien plus impor­tant. Et le fait qu’on n’éduque pas les filles et les garçons de la même façon suffit à produire ces diffé­rences. J’insiste sur le mot « produire ».

S&F : Ces discours natu­ra­listes seraient plutôt conser­va­teurs. Ils font notam­ment partie des discours de l’extrême droite, des mouve­ments mascu­li­nistes, de la Manif pour tous…

V.L. : Bien sûr. Si les diffé­rences sont innées, biolo­giques, « c’est comme ça » et personne n’a à chan­ger, à se remettre en cause. Les idées conser­va­trices sont rassu­rantes et aller vers l’inconnu est toujours plus difficile.

S&F : Et qu’en est-il du côté scientifique ?

V.L. : Du côté des sciences « dures », la plupart des scien­ti­fiques s’accordent sur le fait que ces idées sont sans fonde­ment. Dire qu’il y a un cerveau mascu­lin et un cerveau fémi­nin, c’est faux ! Il est impos­sible de recon­naître un homme d’une femme simple­ment à son cerveau.

Par ailleurs, les travaux de Cathe­rine Vidal montrent que des petites filles qui jouent autant au ballon que les garçons déve­loppent des compé­tences spatiales et un sens de l’orientation compa­rables à celles des garçons. Mais on n’encourage pas les petites filles à jouer au ballon.

Du côté des sciences « dures », la plupart des scien­ti­fiques s’accordent sur le fait que ces idées sont sans fonde­ment. Dire qu’il y a un cerveau mascu­lin et un cerveau fémi­nin, c’est faux ! Il est impos­sible de recon­naître un homme d’une femme simple­ment à son cerveau.

Si on apprend aux hommes et aux femmes des compé­tences diffé­rentes, ces compé­tences devien­dront sexuées ! Ce n’est pas parce qu’un garçon a une meilleure percep­tion spatiale qu’une fille qu’il joue au foot­ball. C’est l’inverse : à force de jouer au foot­ball, il améliore sa percep­tion de l’espace.

Ceci dit, pour le grand public, ces conclu­sions sont géné­ra­le­ment contro­ver­sées. Que cela soit immuable arrange pas mal d’hommes et ce sont eux, aujourd’hui encore, qui ont la parole et le pouvoir de déci­sion. Ce natu­ra­lisme permet de main­te­nir les inéga­li­tés : si les femmes sont multi­tâches « par essence », pour­quoi ne serait-ce pas à elles de s’occuper à la fois des enfants, de leur foyer et de leur carrière ? Les hommes, mono­tâches « par nature », n’en seraient pas capables…

S&F : Que faire pour sortir de cette ornière ?

V.L. : Il faut ensei­gner, en discu­ter. Le natu­ra­lisme est presque une croyance irra­tion­nelle. Le niveau d’éducation n’a rien à voir. Des gens y croient sans l’avoir décidé, parce que cela s’impose à eux. Plus on en parle, plus le public s’y inté­resse, y réflé­chit et plus ces croyances seront remises en cause.

En ce sens, l’anthropologie est un domaine précieux. La plura­lité des cultures et des compor­te­ments à travers le monde montre qu’il est diffi­cile de croire à UNE nature fémi­nine et UNE nature masculine.


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