• Stéphane Hauwaert
    Stéphane Hauwaert
    coordinateur du service Animation

L’expérience critique : (R)éveiller l’esprit critique !

Poncifs malheu­reu­se­ment bien d’actualité : nous vivons dans une époque et un monde complexes, multi­formes, en mouve­ment et en muta­tion. La mondia­li­sa­tion, en ce compris des réseaux infor­ma­tiques, a multi­plié à l’infini les inter­ac­tions et les infor­ma­tions que nous rece­vons, la plupart du temps malgré nous, et en fonc­tion de filtres souvent aussi impar­faits que ces infor­ma­tions elles-mêmes.

Ce constat, que le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège avait déjà établi au contact de ses publics à l’époque de la créa­tion de l’exposition Voyage au centre de l’info, dépas­sait évidem­ment la seule sphère média­tique. C’est bien notre rapport à toutes les compo­santes du monde et de la société qui peut rapi­de­ment nous dépas­ser. Très vite nous pouvons nous sentir dému­nis, ou mani­pu­lés par ce que nous perce­vons du monde et des réali­tés qui nous entourent. La tenta­tion de céder à la simpli­fi­ca­tion et aux réac­tions trop émotion­nelles peut rapi­de­ment gagner les esprits.

L’esprit critique, c’est une posture de raison­ne­ment qui se doit d’être le contraire de l’amalgame, des juge­ments spon­ta­nés ou simplistes, et des idées reçues. C’est aussi recon­naître l’influence (et l’utilité struc­tu­rante par ailleurs) des nombreux stéréo­types qui peuplent nos imagi­naires et notre quoti­dien. Quand il s’agit de trans­mettre cette posture, nous manquons bien souvent nous-mêmes, ce qui est cocasse, d’esprit critique quant à la manière d’éveiller celui-ci chez d’autres personnes. D’aucuns fantasment souvent un âge d’or de la raison, ou une période anté­rieure, un avant qui était forcé­ment mieux, dans lequel au moins, on appre­nait l’esprit critique. Vraiment ?

Tout le monde devrait pour­tant accep­ter que chacun puisse ne pas savoir, ou devoir béné­fi­cier d’un moment de réflexion, ce qui par ailleurs est une belle parade à l’argument unila­té­ral d’autorité.

Bien souvent chez les plus jeunes (mais pas que !), il y a déjà une barrière pré-déter­mi­nante : criti­quer est perçu non comme une atti­tude construc­tive, mais bien comme quelque chose de néga­tif. À sa plus simple réduc­tion, il s’agit en somme, de « dire du mal de… ». Admettre qu’on ne sait pas, qu’un sujet nous dépasse, ou qu’on n’a pas d’avis fondé, est souvent présenté ou perçu comme une faiblesse, alors que pullulent les micro-trot­toirs, et avis de l’homme de la rue… sans évoquer la possi­bi­lité de commen­ter en temps réel prati­que­ment tout le contenu exis­tant aujourd’hui sur inter­net. L’exemple souvent donné par des éduca­teurs (profes­seurs, parents, pairs, éduca­teurs…) qui trop régu­liè­re­ment n’admettent pas ne pas savoir et préfèrent donner une réponse, fut-elle fausse, que de l’admettre, peut aussi orien­ter en ce sens. Tout le monde devrait pour­tant accep­ter que chacun puisse ne pas savoir, ou devoir béné­fi­cier d’un moment de réflexion, ce qui par ailleurs est une belle parade à l’argument unila­té­ral d’autorité. Les savoirs sont-ils défi­ni­tifs ? Douter, criti­quer, se méfier n’est pas néga­tif, et doit aussi faire l’objet d’une méthode. Admettre qu’on ne sait pas ou qu’on recherche n’est pas une faiblesse, mais devrait être perçu comme une force.

Évidem­ment, il convient d’éviter tout scep­ti­cisme destruc­teur ! La prise de conscience et l’acceptation de la compo­sante chao­tique de toute chose, en oppo­si­tion avec une certaine obses­sion du contrôle, un fantasme du risque zéro, permet aussi de moins être tentés ou séduits par les théo­ries biai­sées qui nous rassurent, mais nous orientent, bien souvent à dessein.

L’esprit critique et la raison se vivent autant qu’ils se pensent. C’est une véri­table expé­ri­men­ta­tion de tous les instants.

L’esprit critique et la raison se vivent autant qu’ils se pensent. C’est une véri­table expé­ri­men­ta­tion de tous les instants. C’est pour­quoi on peut éveiller même au plus jeune âge à la décou­verte du monde par le libre examen (un enfant qui trans­vase de l’eau dans divers réci­pients fait-il autre chose que de la physique expé­ri­men­tale ?). Nous sommes les premiers freins à notre objec­ti­vité (par nos sens, émotions, nos erreurs de raison­ne­ment…). Beau­coup l’ont compris et en usent et abusent. Il y a un réel enjeu à ce qu’un maxi­mum de personnes s’approprient le concept, et comprennent qu’il est acces­sible à tous. Ce serait une erreur de le réser­ver à une élite, bien ou mal inten­tion­née. L’esprit critique est un véri­table moyen d’émancipation.

L’exposition L’Expérience critique tente donc de mettre l’accent sur ce (r)éveil, en partant des compo­santes les plus basiques et diffi­ci­le­ment discu­tables de notre rapport au monde?: nos cinq sens et nos émotions de base. S’ensuivent des couches succes­sives de conven­tions sociales, de réflexes rhéto­riques, critiques, de raison­ne­ment, de stéréo­types, de milieux… Que nous abor­dons et que nous trans­po­sons dans quatre domaines précis de notre quoti­dien : l’éducation, la poli­tique, les médias et la consom­ma­tion. L’exposition se veut inter­ac­tive et évolu­tive en fonc­tion des diffé­rents parti­ci­pants à l’expérience.

C’est une invi­ta­tion à un vaste et complexe voyage, sans desti­na­tion défi­nie par essence, mais dont le chemi­ne­ment lui-même invite à une certaine liberté, mais aussi – et surtout – à une ouver­ture plus large sur le monde. C’est en tout cas tout l’enjeu de l’exposition L’Expérience critique.

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