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Guy Haarscher,
philosophe et professeur ordinaire émérite de la Faculté de philosophie et lettres et de la Faculté de droit de l’Université libre de Bruxelles
Le libre examen : du protestantisme à la Belgique libérale
Guy Haarscher a enseigné pendant plus de 30 ans la philosophie morale, politique et juridique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Aujourd’hui, il propose d’ailleurs un MOOC1 intitulé « Développer sa pensée critique ». Spécialisé dans les questions de laïcité, le libre examen est un sujet récurrent de son enseignement.
Salut & Fraternité : Comment la notion de libre examen est-elle née ?
Guy Haarscher : Depuis Socrate et même avant, de nombreux philosophes ont exercé leur pensée critique et ont pratiqué ce que nous appelons aujourd’hui le libre examen. Mais son origine remonte plutôt au XVIe siècle, à une époque où il avait une connotation différente.
En effet, ce terme est né dans un contexte de querelle religieuse intra-chrétienne et, plus particulièrement, des protestants contre le pouvoir catholique. L’idée était alors de lutter contre le magistère de l’Église et du Pape, c’est-à-dire contre leur interprétation par voie d’autorité des textes sacrés qui devaient guider la vie du croyant. Quand les premiers protestants se sont révoltés contre le Pape et le catholicisme, ils ont déclaré que les croyants eux-mêmes devaient examiner librement et se laisser éclairer par la Bible pour conduire leur vie. Le libre examen a alors une dimension clairement religieuse.
Par la suite, la pratique du libre examen a connu un nouvel élan avec la période des Lumières. La raison prend alors le pas sur la superstition. Cette période voit fleurir des pratiques intellectuelles comme la critique ou la raison critique.
Par la suite, la pratique du libre examen a connu un nouvel élan avec la période des Lumières. La raison prend alors le pas sur la superstition. Cette période voit fleurir des pratiques intellectuelles comme la critique ou la raison critique. Mais le terme « libre examen » est quant à lui alors fort peu utilisé. C’est à la fin du XVIIIe siècle, en France, qu’un certain nombre de philosophes commencent à utiliser la notion de libre examen dans un cadre plus large que celui de la religion. Il ne s’agit dès lors plus que d’examiner librement les textes bibliques mais d’appliquer cette méthode aux pratiques scientifiques mais aussi aux problèmes humains ou politiques. Cela se rapproche de l’idée du libre examen d’aujourd’hui mais cela reste cantonné à la sphère académique.
S&F : Qu’en est-il en Belgique ?
G.H. : En Belgique au XIXe siècle, le parti libéral a repris cette idée de libre examen. Et en 1854, Pierre-Théodore Verhaegen, membre du parti libéral, franc-maçon, catholique libéral et créateur de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), a introduit cette notion dans son discours au roi Léopold. Il a alors insisté sur l’idée que le libre examen permettait de construire la démocratie, la libre réflexion sans interférence autoritaire. La notion est alors devenue le principe même de la recherche scientifique et l’ULB l’a inscrite dans ses statuts à la fin du XIXe siècle.
La question du libre examen dans le contexte de l’époque a une dimension particulière : les libéraux, la franc-maçonnerie et l’ULB la porte comme une notion de combat dans le conflit entre les catholiques libéraux et les catholiques autoritaires.
La question du libre examen dans le contexte de l’époque a une dimension particulière : les libéraux, la franc-maçonnerie et l’ULB la porte comme une notion de combat dans le conflit entre les catholiques libéraux et les catholiques autoritaires. Le libre examen était un outil contre l’intolérance face à des catholiques dogmatiques qui ne reconnaissaient pas les droits de l’homme, la liberté d’expression ou encore la liberté de conscience. Il y a donc un certain nombre de notions qui se sont cristallisées autour de celle du libre examen. Elle se définit alors dans le champ académique et politique comme la possibilité d’examiner tous les problèmes qui se posent à l’Homme sans intervention d’un argument d’autorité.
S&F : Qu’en est-il de la pensée critique ?
G.H. : Je pense que ce sont deux façons différentes de définir le même projet. L’idée même de pensée implique la critique. Si vous pensez à un objet, vous allez faire le tri entre les solutions, les valeurs ou les faits qui vous semblent valables et ceux qui ne le sont pas pour vous. La critique, c’est le tri. La pensée critique, c’est examiner les choses sans être contraint par des dogmes. Henri Poincaré propose cette phrase bien connue au début du XXe siècle : « La pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être. » Aussi, le libre examen est une notion qui parle particulièrement en Belgique. Si vous abordez la question avec des personnes étrangères à notre pays, elles comprennent la signification mais elles ne l’utilisent pas. Elles préfèrent l’usage de notions comme la raison ou la critique. Comme pour la notion de laïcité, la réalité qu’elle désigne est générale mais la formulation est locale.
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