• Henri Bartholomeeusen
    Henri Bartholomeeusen
    président du Centre d’Action Laïque

La place du libre examen dans le mouvement laïque

En 1969, les fonda­teurs du Centre d’Action Laïque s’accordaient sur une défi­ni­tion de la laïcité. Ils la tradui­saient par la volonté de construire une société juste, progres­siste et frater­nelle, assu­rant à chacun la liberté de la pensée, de son expres­sion, adop­tant le libre examen comme méthode de pensée et d’action.

La modi­fi­ca­tion de 1999 qui préten­dait distin­guer laïcité « poli­tique » et « philo­so­phique » voyait dans cette dernière l’élaboration person­nelle d’une concep­tion de vie (…) qui implique l’adhésion aux valeurs du libre examen, d’émancipation à l’égard de toute forme de condi­tion­ne­ment et aux impé­ra­tifs de citoyen­neté et de justice.

Désor­mais1, le Centre d’Action Laïque défi­nit la laïcité comme le prin­cipe huma­niste qui fonde le régime des liber­tés et des droits humains sur l’impartialité du pouvoir civil démo­cra­tique dégagé de toute ingé­rence reli­gieuse. Il oblige l’État de droit à assu­rer l’égalité, la soli­da­rité et l’émancipation des citoyens par la diffu­sion des savoirs et l’exercice du libre examen.

(…) à la diffé­rence de commu­nau­tés ou socié­tés iden­ti­taires au sein desquelles l’homme est déter­miné de façon univoque par son appar­te­nance à une tradi­tion (natio­nale, reli­gieuse, cultu­relle…), à une idéo­lo­gie, par des racines qui condi­tionnent sa place et son destin, la laïcité propose de lui garan­tir le droit à la singu­la­rité, à l’émancipation, l’accès au savoir, patri­moine commun de l’humanité, de manière universelle.

Nous le voyons, pour le Centre d’Action Laïque, quelle que fût la façon de défi­nir ou de clari­fier le concept de laïcité, le libre examen lui fut toujours consub­stan­tiel. Pour­rait-il y avoir de véri­table liberté de conscience, de pensée, d’expression, de reli­gion même sans leur néces­saire corol­laire, la liberté d’examen ? Parce qu’à la diffé­rence de commu­nau­tés ou socié­tés iden­ti­taires au sein desquelles l’homme est déter­miné de façon univoque par son appar­te­nance à une tradi­tion (natio­nale, reli­gieuse, cultu­relle…), à une idéo­lo­gie, par des racines qui condi­tionnent sa place et son destin, la laïcité propose de lui garan­tir le droit à la singu­la­rité, à l’émancipation, l’accès au savoir, patri­moine commun de l’humanité, de manière universelle.

Pour le Centre d’Action Laïque, la pratique du libre examen a un lien étroit avec la liberté de pensée, de conscience, d’expression mais aussi de reli­gion. © Monu­ments & Sites – Bruxelles

Un vieux débat entre valeur et méthode trouve ainsi son épilogue : les valeurs laïques impliquent la défense de la méthode du libre examen et son exer­cice effec­tif. Sous peine de déna­tu­rer la méthode, le libre examen ne peut en effet postu­ler de credo. Il consiste à ne tenir pour acquis que ce qui est passé par son propre enten­de­ment, à partir de la raison et de l’expérience. En cela, il se rapproche de la méthode scien­ti­fique à laquelle on l’assimile parfois.

Le libre examen peut enfin aisé­ment s’identifier à un art de vivre, puisqu’il induit une conduite dépouillée des préju­gés, de la morale reli­gieuse ou du confor­misme social au profit d’une morale person­nelle, critique, dyna­mique et, si possible, philo­so­phi­que­ment fondée. Soyons atten­tifs à ne pas décré­di­bi­li­ser la méthode du libre examen et par suite les valeurs laïques elles-mêmes par une confu­sion des genres. Il faut lais­ser le libre examen au niveau de la méthode et ne pas lui confé­rer le statut de valeur.

Le libre examen peut enfin aisé­ment s’identifier à un art de vivre, puisqu’il induit une conduite dépouillée des préju­gés, de la morale reli­gieuse ou du confor­misme social au profit d’une morale person­nelle, critique, dyna­mique et, si possible, philo­so­phi­que­ment fondée.

La laïcité conçue comme prin­cipe huma­niste, univer­sel et inva­riant dans le temps et l’espace relève évidem­ment d’un idéal dont la défense s’actualise et se moda­lise en fonc­tion des contextes. À l’heure où les radi­ca­lismes natio­na­listes2, reli­gieux, poli­tiques, cultu­rels paraissent à nouveau invi­ter aux replis iden­ti­taires, le Centre d’Action Laïque s’est fait un devoir, parti­cu­liè­re­ment ces dernières années, de faire recon­naître et inscrire le prin­cipe de laïcité ainsi défini au rang des garan­ties accor­dées à tout citoyen. C’est-à-dire, dans notre loi fonda­men­tale, la Constitution.

Mais c’est prin­ci­pa­le­ment à l’école que revient la mission de diffu­ser les savoirs et d’instruire la méthode du libre examen. Comme le rappe­lait Lucia De Brou­ckère, ce qui compte en matière de liberté, ce n’est pas tant le droit de mettre un bulle­tin dans l’urne que le pouvoir de choi­sir en connais­sance de cause.

Avec elle, je pense que cet appren­tis­sage de la liberté qui doit conduire à une prise de conscience et à l’élaboration d’une concep­tion de vie person­nelle se heurte à deux obstacles, la neutra­lité et l’endoctrinement.

La neutra­lité, parce qu’elle invite au rela­ti­visme et au confor­misme social. L’endoctrinement, parce qu’il impose à l’enfant une vision du monde, une ligne de conduite établie en dehors de lui et non déduite de sa recherche personnelle.


  1. Depuis l’assemblée géné­rale du 16 avril 2016.
  2. Voyez notam­ment Le mal euro­péen, Guy Verhof­stadt, préface de Daniel Cohn-Bendit, Plon 2016. Guy Verhof­stadt rappelle avec quelle faci­lité les commu­nau­tés ou socié­tés iden­ti­taires, par nature confor­mistes, se muent en société d’exclusion et de combat.
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