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Edgar Szoc,
chercheur-associé d’Etopia
L’égalité, notre intérêt à tous !
Longtemps évincée du débat public, la question de l’égalité en tant que telle, et non pas sa version euphémisée que constitue la notion d’égalité des chances, fait un retour marqué, tant sur le plan des controverses intellectuelles que dans le champ politique.
De nombreux éléments en attestent, qu’il s’agisse des slogans politiques (« We are the 99% »), de légers basculements conceptuels dans les outils d’élaboration des politiques publiques (par exemple, le fait, impensable jusqu’il y a peu, que la Commission ait inséré un indicateur d’inégalités dans son tableau de bord macro-économique), mais aussi du fourmillement de recherches et vulgarisations sur le sujet. Le salaire des patrons ou le montant des indemnités parlementaires ne se sont pas seulement imposés comme des questions de bonne gouvernance ou d’éthique politique, mais aussi de justice collective, comme si chacun devait désormais prendre sa part juste du sacrifice ou du bénéfice collectif.
Une société égalitaire profitable même aux plus riches
Dans ce fourmillement, un des moments les plus marquants est la parution de la traduction française du livre de Kate Pickett et Richard Wilkinson, The Spirit Level. Les conclusions de ces deux épidémiologistes viennent en effet asseoir sur des recherches très solides l’intuition portée par un nombre croissant d’acteurs sociaux quant aux ravages causés par la montée des inégalités dans les sociétés post-industrielles. Les statistiques sont claires : les pays riches les plus égalitaires sont ceux dans lesquels la prévalence d’une série de situations sociales préjudiciables est la plus faible et où, au contraire, des variables positives telles que la confiance que s’accordent les gens ou même le taux de recyclage des déchets sont les plus élevées. Ces variables sont meilleures, non seulement pour la moyenne de la population, mais aussi pour chaque partie de la population prise isolément, y compris le décile le plus riche. Pour donner un exemple, l’espérance de vie des 10 % les plus riches est meilleure dans une société égalitaire que dans une société inégalitaire. Autrement dit, l’égalité doit être considérée comme une espèce de bien commun qui profite à tous – non seulement aux plus pauvres, ce qui paraît évident, mais également aux plus riches – ce qui relève nettement moins de l’évidence.
(…) l’égalité doit être considérée comme une espèce de bien commun qui profite à tous – non seulement aux plus pauvres, ce qui paraît évident, mais également aux plus riches – ce qui relève nettement moins de l’évidence.
Les auteurs ont essentiellement travaillé sur des variables à gradient social, c’est-à-dire des phénomènes dont le niveau augmente au fur et à mesure qu’on descend dans l’échelle des revenus quand elles sont négatives, comme le taux d’emprisonnement, ou diminue au fur et à mesure qu’on descend cette échelle quand elles sont positives, comme l’espérance de vie. Mais leurs résultats dépassent les problématiques à gradient social. Ainsi, des phénomènes tels que, encore une fois, le recyclage des déchets, sont beaucoup plus courants dans les sociétés égalitaires. Comme si un certain niveau d’égalité était indispensable à la construction d’un monde commun que chacun se sent chargé de préserver ou d’entretenir.
L’égalité, réel enjeu des politiques publiques
Mises en relation avec d’autres travaux, notamment ceux de Thomas Piketty, qui démontrent l’importance numérique de la montée des inégalités au cours des trois dernières décennies, les conclusions de Wilkinson et Pickett devraient logiquement conduire à une réévaluation du logiciel de politiques publiques en matière sociale. Depuis le tournant néo-libéral du début des années 80, celles-ci se sont en effet appliquées à lutter contre la pauvreté (ou, au vu des résultats effectifs, à « prétendre le faire »), en considérant les inégalités comme une question sans intérêt ni conséquence. Le prix individuel et social que chacun paye pour ces inégalités nécessite une refondation urgente en matière sociale, fiscale et économique !
Si nous sommes encore loin du compte, au moins la direction est-elle claire !
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