- Jean Blairon,
directeur de l'asbl RTA
Le territoire et ses acteurs, sources de connaissances
Jean Blairon, docteur en philosophie et lettres, est directeur de l'asbl R.T.A. Cette association a été créée en 1973 par les mouvements ouvriers namurois afin de favoriser la démocratie culturelle par l'expression des publics populaires dans les médias émergents. Il intervient régulièrement sur la question du développement territorial et du rôle de la culture auprès des professionnels et des chercheurs du secteur.
Salut & Fraternité : Qu'est-ce qu'un « territoire apprenant » ?
Jean Blairon : Selon ma définition, un territoire apprenant est un espace qui repose sur ses acteurs pour se développer. C'est un environnement réflexif qui permet aux participants, dans le contexte de rencontres, de connexions et d'expériences, de se laisser éduquer par le territoire et par les autres. Dans cette logique, l'ensemble des acteurs doivent avoir accès à la parole et aux échanges. La connaissance collective de l'entité territoriale passe par la mobilisation de toutes les personnes potentiellement concernées par une question.
(…) un territoire apprenant (…) est un environnement réflexif qui permet aux participants, dans le contexte de rencontres, de connexions et d'expériences, de se laisser éduquer par le territoire et par les autres.
On ne se contente donc pas ici de l'état des choses ou des états des lieux mais on essaie de voir des éléments moins visibles : les dominations peu apparentes et les potentialités inexploitées du territoire. On n'apprend pas uniquement pour le plaisir d'apprendre. On le fait également pour se développer, pour mieux vivre et pour mieux fonctionner.
S&F : C'est une nouvelle façon d'aborder l'éducation populaire ?
J.B. : Lorsque je m'étais intéressé dans un autre contexte au travail de rue, j'avais intitulé mon premier article « La rue éducatrice ». Avant d'envisager les gens qui vivent dans la rue comme un problème, il faut poser la fréquentation de l'espace public comme ayant des effets sur nous. On peut donc considérer qu'elle est éducatrice puisque le rapport au territoire nous apprend des choses sur l'existence et les groupes que nous côtoyons. Ce qui est important, c'est la vision collective de la question. L'enjeu aujourd'hui est de faire une place à l'éducation non formelle.
S&F : En pratique, qu'est-ce que cela donne ?
J.B. : L'exemple du Miroir vagabond1 à Hotton est excellent. Il s'agit d'une démarche impliquant tous les acteurs d'un territoire. Créée au départ sous la forme d'une maison de quartier, cette association a rapidement mis en place une dynamique où le social et le culturel participent au développement local. Aujourd'hui, au travers de ses formations, de ses animations et de ses actions d'éducation permanente, l'association nourrit une dynamique locale où chacun a des occasions de développer ses propres regards sur le monde. Ces derniers sont organisés et amenés à se féconder les uns les autres. C'est une démarche quotidienne désectorialisée qui est à mon sens remarquable.
Le développement du capital culturel des groupes et des populations me paraît significativement important pour la société. Dans cette optique, des ressources subjectives, à savoir des connaissances, de la créativité, de l'invention, de la confiance, sont nécessaires. L'économie marchande, la sphère politique et la cohésion sociale en ont le plus grand besoin.
S&F : Il y a donc nombre d'intelligences sur un territoire. Comment fait-on pour les révéler ?
J.B. : La pratique artistique est certainement un moyen privilégié mais il y a également les animations en éducation permanente, les expériences coopératives ou les inventions quotidiennes et ce qu'on appelle « les déplacements ou les transgressions d'usage » pour reprendre le concept de l'architecte Paul Virilio. Ces derniers nous ramènent à la manière dont certains objets fonctionnels dans l'espace public voient leur utilité détournée : le banc qui sert de dortoir ou la voiture de chambre à coucher… Ces usages secondaires sont autant de manières de réinventer la vie et le territoire en est rempli.
Cela pose aussi la question de son accès, de l'utilisation privative des espaces. Le territoire est un cadre pour ces questions, un moyen inspirant et certainement un enjeu. Son étude révèle des rapports de force, des interdits, des possibles et une conception des rapports entre certains groupes sociaux dans la société.
S&F : Cela montre aussi l'importance du travail associatif et culturel en termes de développement…
J.B. : Pour certains, le développement se rapporte exclusivement à une vision économique, aux entreprises marchandes et à la croissance. Je pense que ce que nous observons quotidiennement nous démontre que cette vision est tronquée et insuffisante, et qu'il faut parler de développements au pluriel. Le développement du capital culturel des groupes et des populations me paraît significativement important pour la société.
Dans cette optique, des ressources subjectives, à savoir des connaissances, de la créativité, de l'invention, de la confiance, sont nécessaires. L'économie marchande, la sphère politique et la cohésion sociale en ont le plus grand besoin. Qui produit ces ressources aujourd'hui ? Beaucoup de gens bien sûr, mais je pense particulièrement aux acteurs associatifs éducatifs, culturels et sociaux.
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