• François Pichault
    François Pichault
    professeur de gestion des ressources humaines à HEC-ULg et professeur affilié à l’ESCP

Fieris Féeries, un réseau d’innovations sociales

L'organisation d'un événe­ment tel que les Fieris Féeries exige la mise en commun des forces de multiples parte­naires pour voir le jour. Fran­çois Pichault dirige le Labo­ra­toire d'études sur les nouvelles tech­no­lo­gies, l'innovation et le chan­ge­ment (Lentic). Depuis de nombreuses années, il travaille avec son équipe sur les parte­na­riats inter-orga­ni­sa­tion­nels, à savoir la façon dont diffé­rentes struc­tures coopèrent entre elles. Il nous éclaire sur la métho­do­lo­gie de la mise en réseau.

Salut & Frater­nité : Qu'est-ce que la mise en réseau ?

Fran­çois Pichault : Il s'agit du proces­sus par lequel plusieurs orga­ni­sa­tions travaillent ensemble et mettent leurs ressources en commun. Dans toute inno­va­tion inter-orga­ni­sa­tion­nelle, chaque struc­ture a des visions diffé­rentes de la réalité et pour­suit ses propres inté­rêts. Ainsi, dès qu'on aborde les ques­tions de terri­toire inno­vant, on est forcé de faire coha­bi­ter des gens de mondes diffé­rents (asso­cia­tions de quar­tiers, artistes, syndi­cats, entre­prises, etc). Il s'agit dès lors de parve­nir à défi­nir, de manière commune, le problème à résoudre (problé­ma­ti­sa­tion) et de s'assurer que chaque parte­naire soit engagé dans la recherche de solu­tions (enrô­le­ment) en opérant, de manière perma­nente, les traduc­tions néces­saires entre les diffé­rentes visions de la réalité pour que les uns et les autres acceptent de coopérer.

Le rôle du Lentic est, entre autres, d'accompagner la mise en œuvre de ce genre d'initiatives, que ce soit dans les sphères marchandes, non marchandes, publiques ou privées.

(…) [un réseau] une orga­ni­sa­tion domi­nante qui, selon ses besoins, initie une colla­bo­ra­tion avec des parte­naires. Dans ce cas, c'est elle qui donne le ton et orga­nise le réseau de manière presque forcée. Plus on s'oriente vers des formes asso­cia­tives, moins la mise en réseau s'effectue de manière spontanée.

S&F : Quels sont les avan­tages de la mise en réseau ainsi que les diffi­cul­tés à surmonter ?

F.P. : Il existe en fait plusieurs types de réseau. Géné­ra­le­ment, il s'agit d'une orga­ni­sa­tion domi­nante qui, selon ses besoins, initie une colla­bo­ra­tion avec des parte­naires. Dans ce cas, c'est elle qui donne le ton et orga­nise le réseau de manière presque forcée. Plus on s'oriente vers des formes asso­cia­tives, moins la mise en réseau s'effectue de manière spon­ta­née : chaque parte­naire s'y trouve dans une logique presque indi­vi­dua­liste, préfé­rant faire repo­ser le coût éven­tuel d'une action de mise en réseau sur les autres. C'est la raison pour laquelle l'intervention de tiers s'avère néces­saire. En ce qui concerne les avan­tages, le réseau garan­tit un apport de ressources diver­si­fiées qui lui permet de mieux répondre aux spécificités
des demandes.

S&F : Pour­quoi le Lentic s'est-il inté­ressé aux Fieris Féeries ?

F.P. : C'est le proces­sus de recon­ver­sion terri­to­riale de Seraing, à travers le Master plan séré­sien, qui nous a amenés à nous inté­res­ser aux Fieris Féeries. Ce projet est un bel exemple d'innovation sociale, avec de multiples acteurs et parties prenantes et le croi­se­ment d'une logique venant du terrain avec des logiques plus « descen­dantes ». Un enjeu nous inté­resse plus parti­cu­liè­re­ment, à savoir la réin­tro­duc­tion des aspects socio-cultu­rels dans une dyna­mique essen­tiel­le­ment pensée en termes d'aménagement du territoire.

Les théo­ries que j'utilise parlent de la consti­tu­tion de points de passage obligé dans un proces­sus d'innovation, à partir desquels une dyna­mique irré­ver­sible est créée. Il devrait donc y avoir un « avant » et un « après » Fieris Féeries, mais cette hypo­thèse demande à être confirmée.

S&F : Dans ce cadre, quel sera le rôle du Lentic ?

F.P. : Nous serons présents aux moments-clés de la prépa­ra­tion afin de rencon­trer les diffé­rents acteurs et de les inter­ro­ger sur la manière dont ils vivent leur impli­ca­tion dans le projet, sur leurs repré­sen­ta­tions, leurs attentes et leurs inté­rêts. Nous exami­ne­rons la manière dont leurs repré­sen­ta­tions changent au fil du temps. À partir de tous ces entre­tiens, qui seront filmés, nous monte­rons ensuite une étude de cas audio­vi­suelle qui sera exem­pla­tive d'un proces­sus d'innovation sociale.

Nous propo­se­rons donc un effet miroir avec notre analyse. Celle-ci permet­tra aux acteurs de poin­ter les réus­sites et les points suscep­tibles d'être amélio­rés. Ce sera l'occasion pour l'équipe du Centre d'Action Laïque de la Province de Liège de béné­fi­cier d'un regard externe. Nous lui four­ni­rons ainsi nos réflexions sur la manière de créer du réseau et de le péren­ni­ser, en utili­sant des grilles théo­riques qui permettent de déco­der les situa­tions observées.

S&F : À ce stade, quel regard portez-vous sur la mise en réseau des Fieris Féeries ?

F.P. : Je suis assez ébahi par la capa­cité à mettre en mouve­ment et à fédé­rer autant de milieux aux inté­rêts parfois diver­gents et à main­te­nir le cap. Je suis égale­ment frappé par le souci constant qu'a l'équipe d'animation d'utiliser les compé­tences des diffé­rents acteurs, même des plus fragi­li­sés. Nous sommes inté­res­sés de voir s'il y aura une trans­for­ma­tion durable des repré­sen­ta­tions des acteurs en présence. Les théo­ries que j'utilise parlent de la consti­tu­tion de points de passage obligé dans un proces­sus d'innovation, à partir desquels une dyna­mique irré­ver­sible est créée. Il devrait donc y avoir un « avant » et un « après » Fieris Féeries, mais cette hypo­thèse demande à être confir­mée. Pour l'instant, les premières impres­sions que j'en ai me poussent à penser que c'est le cas.

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