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François Colmant
Le métier de journaliste à l’heure des réseaux sociaux
François Colmant est journaliste indépendant, assistant et doctorant au sein du département des Arts et Sciences de la Communication de l’Université de Liège. Ses recherches et sa thèse de doctorat portent sur les bouleversements provoqués par l’avènement du numérique sur le travail au quotidien des journalistes et sur les développements de la presse en ligne.
Salut & Fraternité : En quoi les réseaux sociaux bouleversent-ils le métier de journaliste ?
François Colmant : À partir de 2008, avec la montée en puissance des réseaux sociaux tels qu’on les entend aujourd’hui, Facebook™ et Twitter™ en tête, les journalistes se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas ne pas y aller, malgré certaines réticences. Suspicieux au début, les médias traditionnels se sont progressivement lancés et utilisent désormais les réseaux sociaux comme relais mais aussi source de l’information. Les journaux comptent également sur les internautes pour relayer leurs informations. Si vous placez un article du Soir en ligne sur votre mur Facebook™, vous générez un flux de visiteurs dans sa direction. C’est une promotion indirecte pour le journal, mais qui devient un enjeu pour les rédactions : quel type d’article risque d’être le mieux relayé ? De plus, le relayeur de l’information légitimise d’une certaine façon l’article lu. Si vous avez énormément de « followers », sur Twitter™ par exemple, vous pouvez potentiellement les pousser à lire cette info. Si ces personnes vous suivent, elles vous accordent un certain crédit et seront peut-être intéressées par l’information que vous partagez.
S&F : Selon Alain Gerlache, la notion de scoop n’existe plus. Qu’en pensez-vous ?
F.C. : Ce qu’il veut dire, c’est que quoi que l’on fasse, on sera toujours « grillé » par quelqu’un d’autre. Il est très difficile pour un journaliste de conserver un scoop. Aujourd’hui, dès qu’il se passe quelque chose, tout le monde sort son téléphone portable et l’information est tout de suite diffusée. Ce qui ne veut pas dire que chaque individu est un journaliste potentiel, comme on l’entend parfois. Le métier exige rigueur et professionnalisme, on ne peut circonscrire sa fonction qu’à un simple relais de l’information. On ne peut pas, par exemple, s’improviser journaliste d’investigation. Cela exige un travail de fond de la part de professionnels formés et conscients des règles déontologiques de base.
Si le journaliste n’a plus la primeur de l’information, il doit adopter un certain recul et vérifier encore et encore l’information qu’il délivre. Non seulement il donne l’information, mais il la détaille, la vulgarise, la compare, la met en perspective. C’est ce qui fait sa plus-value.
S&F : La tuerie de Liège et la mort de Michaël Jackson ont d’abord été annoncées sur les réseaux sociaux. Que pouvez-vous en dire ?
F.C. : Pour ce genre d’événement, les médias traditionnels arriveront toujours après les réseaux sociaux car, désormais, le relais de l’information est à la portée du plus grand nombre. Par conséquent, le journaliste doit adapter sa manière d’appréhender l’information. Pour la tuerie de Liège, l’information s’est d’abord répandue sur les réseaux, mais les sites des journaux ont rapidement été pris d’assaut et saturés. Une réaction qui montre qu’en cas de recherche d’information valide, c’est vers les médias traditionnels que se tourne le public. Même si dans ce cas précis, il y aurait à redire sur la qualité de l’information relayée qui attisait plus la rumeur qu’autre chose… Si le journaliste n’a plus la primeur de l’information, il doit adopter un certain recul et vérifier encore et encore l’information qu’il délivre. Non seulement il donne l’information, mais il la détaille, la vulgarise, la compare, la met en perspective. C’est ce qui fait sa plus-value.
S&F : Dans ce contexte où l’information est multiple, interactive et ultra rapide, l’internaute n’accorde-t-il pas plus d’importance au fait brut qu’à l’analyse ?
F.C. : Je reste persuadé qu’il existe toujours un besoin d’information fouillée pour une grande partie du public. Au début des années 2000 les éditeurs de journaux ont craint l’arrivée du quotidien gratuit « Métro », qui résumait très fort les articles. Ils pensaient que le lecteur allait déserter les journaux payants pour ce type de médias, plus léger. Pourtant, les tirages des journaux traditionnels n’ont pas subi de chute fondamentale à cause de ce nouveau concurrent.
S&F : Que pensez-vous du terme « web 3.0 », créé et utilisé par la RTBF dans le cadre de sa rentrée, et son principe de faire appel aux internautes pour alimenter le contenu de ses émissions ?
F.C. : De manière très cynique, j’ai envie de dire qu’ils font du contenu à peu de frais. Cette tendance n’est pas nouvelle. Depuis longtemps, beaucoup d’émissions de radio, de télévision et de journaux proposent aux auditeurs ou lecteurs d’envoyer leurs idées de contenu. Rappelons que le milieu est concurrentiel : il faut dont regarder ce que font les autres, tout en faisant la même chose de manière différente. Donner la parole aux lecteurs ou aux auditeurs ressemble avant tout à une stratégie marketing en leur laissant croire que ce sont eux qui font l’émission.
L’avenir ne prête pas à l’optimisme pour la presse grand public, même si des initiatives voient le jour pour remettre le journaliste au centre du processus de décision, et non plus des financiers. Mais elles sont souvent l’apanage de plus petites structures à destination d’un public averti, ce qui accroît l’impression d’une presse à deux vitesses.
S&F : Pour conclure, pour vous, le métier de journaliste, même s’il doit peut-être s’adapter, n’est pas prêt de disparaître ?
F.C. : Il va changer, il a déjà évolué. Il n’a d’ailleurs cessé de se transformer, et ce depuis l’invention de la presse. Quand la radio puis la télévision sont arrivées, les gens de presse étaient horrifiés, et puis ils se sont adaptés. Maintenant la vraie menace réside dans les contraintes économiques qui pèsent sur les journalistes. Leur situation est de plus en plus précaire. On engage de moins en moins de journalistes et de plus en plus de pigistes. De même, les plus âgés sont écartés au profit de plus jeunes, moins chers. Vu qu’ils ne sont pas très bien payés par article, ils sont obligés d’en produire beaucoup et donc ne vérifient pas systématiquement l’information délivrée, ou sa pertinence. L’avenir ne prête pas à l’optimisme pour la presse grand public, même si des initiatives voient le jour pour remettre le journaliste au centre du processus de décision, et non plus des financiers. Mais elles sont souvent l’apanage de plus petites structures à destination d’un public averti, ce qui accroît l’impression d’une presse à deux vitesses.
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