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Sophie Wintgens,
chargée de recherche sur le Commerce international au CNCD-11.11.11.
Vigilance des entreprises : une solution pour les droits humains
Dans la société de plus en plus globalisée, les entreprises ont un rôle important à jouer sur le plan du respect des droits humains. Tous les produits proposés à la vente devraient ainsi respecter un socle de règles sociales et environnementales.
Une série de mutations ont transformé le mode de production des biens. Les produits contemporains (smartphones, voitures…) sont aujourd’hui fabriqués dans les différents endroits du monde les plus avantageux pour les entreprises sur le plan social, environnemental et fiscal. Leur fabrication dépend de chaînes de valeur complexes intégrant des filiales, sous-filiales, fournisseurs et sous-traitants en cascade allant de l’extraction des matières premières à l’assemblage des biens intermédiaires1.
L’opacité de ces chaînes de valeur mondiales rend très complexe l’identification des responsabilités sociales et environnementales des entreprises. Peu de firmes disposent des informations nécessaires pour garantir des chaînes de production durables. Les consommateurs peuvent donc acheter à leur insu des vêtements confectionnés par des ouvrières surexploitées, des smartphones comportant des minerais issus de zones de conflits ou encore du cacao récolté par des enfants.
Les mesures volontaires prises par les entreprises (codes de conduite, audits…) sont utiles mais insuffisantes : seules 37 % des entreprises européennes pratiquent une forme ou l’autre de surveillance de leurs fournisseurs et seules 16 % le font tout au long de leur chaîne de production2. Il existe des principes et un cadre de référence international pour le respect des droits humains par les entreprises, mais ils ne sont pas juridiquement contraignants.
Mettre fin à l’impunité des entreprises nécessite donc de légiférer pour leur imposer un devoir de vigilance, c’est-à-dire l’obligation de démontrer qu’elles prennent les mesures nécessaires pour respecter les droits humains et l’environnement tout au long de leurs chaînes de valeur et de réparer les dommages causés3.
D’autant qu’un tel devoir de vigilance a des implications positives pour toutes les parties prenantes : pour les entreprises, il offre plus de clarté juridique et un level playing field4 ; pour les consommateurs, il garantit qu’ils ne sont pas complices malgré eux de violations des droits humains ; pour les travailleurs, il renforce la protection des normes fondamentales du travail ; pour le climat et la biodiversité, il renforce la protection de l’environnement5.
Mettre fin à l’impunité des entreprises nécessite donc de légiférer pour leur imposer un devoir de vigilance (…)
Des initiatives législatives sont en cours de discussion à différents niveaux de pouvoir. À l’échelle européenne, la Commission a présenté le 23 février une proposition de directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Elle pourrait représenter une avancée importante pour réglementer les chaînes de valeur mondiales, à condition de donner à cette future norme les moyens de ses ambitions6.
Au niveau belge, une proposition de loi similaire mais plus ambitieuse est en discussion depuis un an au Parlement fédéral. Elle a été bien accueillie par les ONG, les syndicats et des dizaines d’entreprises. Toutefois, le processus parlementaire a peu progressé car certains partis ont préféré attendre la proposition de la Commission européenne. D’autres États européens (France, Allemagne) possèdent déjà leur propre loi nationale. Compte tenu du délai avant l’application de la future directive (5 ans), il importe de ne pas attendre les avancées au niveau européen pour poursuivre le processus législatif au niveau belge.
Parallèlement à ces initiatives législatives, d’autres solutions existent pour faire du commerce un levier de développement durable. Elles passent par une refondation du cadre légal existant afin de renforcer les institutions internationales pertinentes (Organisation Internationale du Travail, Organisation Mondiale du Commerce, etc.), remodeler les accords de commerce et d’investissement de l’Union européenne et renforcer les pays du Sud dans leurs capacités à promouvoir les droits humains7.
- Arnaud Zacharie, Refonder le commerce mondial. Du libre-échange à l’échange durable, Bruxelles, Centre d’action laïque, coll. « Liberté j’écris ton nom », 2021.
- Voir ici.
- Mémorandum du GT Corporate Accountability, Fondements essentiels pour une loi belge sur le devoir de vigilance, octobre 2020. .
- NDLR : des règles du jeu équitables.
- Voir ici
- GT Corporate Accountability, Position note on the Corporate Sustainability Due diligence (CSDD) directive, mai 2022.
- Sophie Wintgens (Coord.), Les droits humains n’ont pas de prix. Comment obliger les entreprises à respecter les droits humains, sociaux et environnementaux, CNCD-11.11.11, 2022.