• Emily Clissold
    Emily Clissold
    collaboratrice au Service interfédéral de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale
  • François Demonty
    François Demonty
    collaborateur au Service interfédéral de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale

Le non-recours aux droits : un amplificateur de fracture sociale

Le thème du non-recours aux droits des personnes en situa­tion de pauvreté occupe une place impor­tante dans les travaux du Service de lutte contre la pauvreté, la préca­rité et l’exclusion sociale1.


En effet, le non-recours aux droits est une réalité qui touche plus parti­cu­liè­re­ment les personnes qui vivent dans la pauvreté et dont l’ampleur est plus grande qu’on ne l’imagine géné­ra­le­ment. Les causes en sont multiples, les pistes à suivre pour y remé­dier également.

Qu’est-ce que le non-recours aux droits ?

De façon géné­rale, le non-recours aux droits renvoie à l’ensemble des situa­tions dans lesquelles les personnes ne réalisent pas ou ne peuvent pas réali­ser leurs droits.

S’inspirant de la typo­lo­gie ODENORE (Obser­va­toire des non-recours aux droits et services), le Service de lutte contre la pauvreté iden­ti­fie trois niveaux où le phéno­mène de non-recours aux droits peut se maté­ria­li­ser. Il peut appa­raitre au niveau indi­vi­duel, au niveau des admi­nis­tra­tions et orga­ni­sa­tions sociales qui inter­agissent avec les poten­tiels béné­fi­ciaires et au niveau des lois qui sont conçues par les pouvoirs publics.

(…) le non-recours aux droits renvoie à l’ensemble des situa­tions dans lesquelles les personnes ne réalisent pas ou ne peuvent pas réali­ser leurs droits.

Les mesures prises pour lutter contre le non-recours aux droits devraient dès lors prendre en compte ces trois niveaux pour un plan d’action effi­cace et struc­tu­rel de lutte contre ce phénomène.

Comment l’expliquer ?

Au niveau indi­vi­duel d’abord, le non-recours peut s’expliquer par le fait que les personnes ignorent qu’elles sont titu­laires de droits, par un manque d’informations, par la crainte des effets pervers de certaines mesures ou encore par crainte d’être stigmatisées.

Au niveau des orga­ni­sa­tions et insti­tu­tions, le non-recours peut être causé par les procé­dures complexes et les freins admi­nis­tra­tifs. La déma­té­ria­li­sa­tion des démarches — en accé­lé­ra­tion depuis la crise de la covid-19 —, si elle entend simpli­fier les choses, peut parfois aggra­ver la situa­tion de non- accès aux droits du fait de la frac­ture numé­rique. Le Hello Belgium Rail­pass, une mesure adop­tée dans le contexte de la pandé­mie en 2020 pour faci­li­ter l’accès à la mobi­lité pour toutes et tous, illustre bien ce phéno­mène. La mesure prévoyait en effet que la demande du pass gratuit s’effectue via un formu­laire en ligne, avec les risques d’exclusion que cela pose2.

Enfin, le non-recours est parfois lié à la complexité de la loi, tant au niveau de sa concep­tion par les auto­ri­tés poli­tiques, qu’au niveau de la façon dont elle est rédigée.

Quelques pistes de solutions

Dans une note parue en juin 2022, le Service de lutte contre la pauvreté explore plusieurs pistes pour lutter contre le non-recours aux droits, en s’appuyant sur des pratiques inté­res­santes aux diffé­rents niveaux de pouvoir. Nous en livrons quelques-unes ci-dessous.

Une première piste évoquée est la néces­sité, aux diffé­rents niveaux de compé­tences (fédé­ral, régio­nal, commu­nau­taire, commu­nal), de mettre en place une poli­tique de lutte contre le non-recours, assor­tie d’actions. À cet égard, la concer­ta­tion avec les acteurs de terrain et les personnes en situa­tion de pauvreté et de préca­rité est cruciale pour construire une poli­tique qui soit au maxi­mum ancrée dans la réalité.

Un deuxième levier impor­tant est l’accès à une infor­ma­tion de qualité. Il s’agit pour le légis­la­teur, comme pour les orga­ni­sa­tions sociales et les services publics qui permettent la mise en œuvre des droits, d’une part, de tenter de rendre la régle­men­ta­tion la plus simple et trans­pa­rente possible, et d’autre part, de tenter de four­nir aux ayants droits une infor­ma­tion la plus acces­sible et compré­hen­sible possible.

© Al Nik – unsplash​.org

L’automatisation de l’octroi d’un droit est dans de nombreux cas la piste qui permet au maxi­mum de lutter contre le phéno­mène de non-recours. Le tarif social éner­gie consti­tue une pratique inté­res­sante à cet égard, l’automatisation permet­tant l’application effec­tive du tarif social pour 84&nbsp% des contrats d’énergie3.

Une voie inter­mé­diaire pour un meilleur recours aux droits est la simpli­fi­ca­tion des démarches admi­nis­tra­tives. Il s’agit d’éviter que les citoyens et les entre­prises doivent four­nir les mêmes infor­ma­tions à plusieurs reprises, selon le prin­cipe Only Once4.

En Belgique, il est encore aujourd’hui assez diffi­cile de mesu­rer l’ampleur du phéno­mène de non-recours pour de nombreux droits et ce, prin­ci­pa­le­ment, du fait d’un manque de données et d’outils sur lesquels des analyses pour­raient s’appuyer. Le Service de lutte contre la pauvreté appelle dès lors les auto­ri­tés à four­nir des indi­ca­teurs lors de l’élaboration de mesures poli­tiques afin d’évaluer l’efficacité de celles-ci, sous l’angle du non-recours.


  1. Voir page théma­tique sur le non-recours.
  2. Service de lutte contre la pauvreté, la préca­rité et l’exclusion sociale (2021), Analyse du (non-)recours au Hello Belgium Rail­pass, décembre 2021.
  3. Chiffres de 2018. Voir SPP Inté­gra­tion sociale et Service de lutte contre la pauvreté, la préca­rité et l’exclusion sociale (2020). Auto­ma­ti­sa­tion des droits, Bruxelles, SPP Inté­gra­tion sociale et Service de lutte contre la pauvreté, la préca­rité et l’exclusion sociale
  4. Loi du 5 mars 2014 garan­tis­sant le prin­cipe de la collecte unique des données dans le fonc­tion­ne­ment des services et instances qui relèvent de ou exécutent certaines missions pour l'autorité et portant simpli­fi­ca­tion et harmo­ni­sa­tion des formu­laires élec­tro­niques et papier, M.B., 4 juin 2014.
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