• Aziz Saïdi
    Aziz Saïdi
    président d’Algèbre asbl
Propos recueillis par Roland Remacle

Algèbre : le plaisir partagé par le biais de la création artistique

Dans les années 90, l’Algérie connaît une période de troubles. Afin de soutenir les démocrates en proie à la virulence des intégristes, qui s’en prennent dans un premier temps au milieu socio-culturel, se crée à Liège l’association citoyenne Algèbre. La situation en Algérie évolue ensuite et l’association entre dans une période de somnolence pour, plus tard, redémarrer en axant son travail sur le dialogue des cultures. Elle entend ainsi lutter contre les extrémismes, particulièrement les intégrismes religieux, à travers des activités d’éducation permanente organisées autour d’expositions d’artistes engagés. Elle greffe alors son projet à celui des Grignoux et s’occupe de la galerie d’exposition Le Parc, puis celle du cinéma Churchill. Ce qu’elle fait maintenant depuis plus de vingt ans ! Ce sont aujourd’hui les galeries artistiques les plus visitées dans la province de Liège.

But avoué : décloisonner le quartier populaire de Droixhe qui, à l’époque, était présenté comme un quartier ghetto problématique. L’équipe des Grignoux décide donc de créer un pont entre le centre de la cité et Droixhe, où se trouve le cinéma Le Parc.

L’idée : dédier un espace d’expositions ouvert aux artistes. Une démarche qui a permis d’accueillir un public différent, celui des arts plastiques, et ainsi de favoriser des moments de rencontres et de plaisir partagé.


Entretien avec

Aziz Saïdi

Des expositions artistiques pour créer des étincelles et des rencontres !

Salut & Fraternité : Plaisir et création, deux concepts intimement liés ?

Aziz Saïdi : L’asbl Algèbre s’occupe d’organiser des expositions, de favoriser l’expression artistique et la diffusion des œuvres. Je ne suis pas un artiste. Mais dans ce cadre, je suis confronté au milieu de la création dans le domaine des arts plastiques. Et effectivement, lorsque je visite les ateliers d’artistes et que je vois l’environnement dans lequel ils travaillent, leur style et leur écriture plastique, je ne peux que constater le plaisir qu’ils éprouvent lorsqu’une œuvre est enfin aboutie. Ce sont ces moments-là qui me rappellent pourquoi il est important d’organiser de telles expositions, de pouvoir montrer leur travail. C’est donc aussi un plaisir pour moi : je suis confronté à la découverte d’œuvres qui peuvent susciter des émotions intenses. Quel que soit le support artistique proposé ou la technique utilisée, l’exposition est toujours un moment de joie pour tout le monde : artistes, organisateurs et visiteurs.

Quel que soit le support artistique proposé ou la technique utilisée, l’exposition est toujours un moment de joie pour tout le monde : artistes, organisateurs et visiteurs.

S&F : Comment se traduit votre travail sur le terrain ?

A.S. : Nous organisons une dizaine d’expositions par an dans les galeries des Grignoux ainsi qu’une exposition collective qui regroupe généralement entre dix et vingt artistes. Nous proposons également des expositions thématiques, comme celle présentée à La Cité Miroir en septembre dernier, en relation avec En Lutte. Histoires d’émancipation, l’exposition permanente du Centre d’Action Laïque de la Province de Liège. Derrière ces expositions thématiques destinées à un large public, il y a un travail d’éducation permanente. Nous demandons aux artistes d’être présents et d’expliquer leur travail et leur démarche artistique aux visiteurs. Ces rencontres favorisent les échanges et permettent d’interpeller notre société. L’ensemble de ces projets permet de rendre la culture accessible au plus grand nombre. Le plaisir se retrouve ici dans les échanges et les rencontres qui renforcent la logique du vivre ensemble et du dialogue. Cela favorise la construction d’une société dans laquelle chacun a sa place et où les rapports entre les citoyens sont d’égal à égal. La culture est un élément extraordinaire et important pour renforcer l’émancipation de l’être humain. Celui-ci est condamné à vivre en société, avec le bonheur comme désir fondamental. Et ce bonheur se construit ici grâce à ces espaces de rencontres et d’échanges qui permettent d’accéder au langage artistique et de participer à la discussion culturelle. L’accès à la culture et au savoir par le plus grand nombre permet de contester une minorité qui détient le pouvoir. Ce n’est donc pas un hasard si dans la crise que nous vivons actuellement, on s’attaque dans un premier temps à la culture et à l’éducation.

En septembre 2017, Algèbre rassemblait les créations d’artistes liégeois autour de la thématique de l’exposition En Lutte. Histoires d’émancipation.

S&F : Sur quels projets travaillez-vous ­actuellement ?

A.Z. : Nous travaillons entre autres avec François Deprez qui prépare une installation constituée de bois flottés pour le mois d’avril. Il s’agit de réaliser un squelette de barque qui sera exposé dans la cour du cinéma Sauvenière. Ce projet s’intitule Dérives et constitue un véritable coup de gueule de l’artiste par rapport aux dérives de la société dans laquelle nous nous trouvons : dérive par rapport à l’accueil des migrants, dérive par rapport aux droits de la femme, par rapport aux droits sociaux, à la précarité… C’est motivant de travailler avec un artiste engagé, interpellé par ce qu’il constate et qui souhaite amener le public à réfléchir, notamment lors de rencontres mais aussi d’ateliers d’écriture. Utiliser du bois récupéré dans les rivières ou rejeté par la mer, c’est aussi un message écologique afin de sensibiliser le public à l’importance de la préservation des forêts. Avec l’asbl Songes, Algèbre est par ailleurs partenaire d’un projet qui consiste à exposer des oliviers centenaires morts. Ces arbres ont été déracinés illégalement dans le sud de l’Espagne et étaient destinés initialement à orner de riches établissements. Entreposés à l’air libre, ils ont dépéri suite aux conditions climatiques hivernales de notre pays. Ils ont ensuite été récupérés afin d’aborder des thématiques telles que le déracinement dans tous les sens du terme mais aussi la mondialisation ou l’histoire de l’humanité. Ces arbres sont visibles aujourd’hui au musée en plein air du Sart Tilman de l’Université de Liège.

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