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Philippe Hensmans,
directeur général Amnesty International Belgique
Les maisons de repos dans l’angle mort de nos gouvernements
« J’arrive dans cette chambre et ma belle-mère était allongée là, à moitié morte, émaciée. […] J’ai immédiatement appelé un médecin… il a vu que quelque chose n’allait pas : "elle est complètement déshydratée, elle n’a pas eu d’eau pendant une semaine et demie […]".… L’infirmière du premier étage est passée et m’a dit : "mon collègue est malade et je suis seule ici pour 20 personnes." »
Ce témoignage bouleversant peut presque résumer à lui seul l’abominable réalité qu’ont connue à la fois les résidents et le personnel des maisons de repos, à tout le moins durant la première vague de covid-19 qui a frappé notre pays. Mais les conséquences de cette épidémie, pour terribles qu’elles aient été, n’expliquent pas tout. Le virus a en fait révélé des problèmes structurels qui existaient depuis longtemps : pas de plan d’urgence (même s’il en existait un, suggéré des années plus tôt, mais jamais mis en œuvre), personnel largement insuffisant, peu ou pas d’équipements de protections individuelles (EPI), ou encore formation inexistante du personnel à l’usage d’outils généralement réservés aux hôpitaux (comme les oxygénateurs).
Par ailleurs, vu la suspension des visites, l’aide informelle des personnes parentes, soignantes et bénévoles a soudainement cessé. Au début de la pandémie, le personnel des maisons de repos et maisons de repos et soin (MR/MRS) s’est donc retrouvé submergé par un important surplus de travail, ce qui a réduit les capacités de soins. Si les choses se sont progressivement améliorées avec le temps, il n’en reste pas moins que les dégâts, tant physiques que psychologiques, ont été nombreux.
Droits à la vie, à la santé et à la non-discrimination oubliés/strong>
Nous avons également pu déterminer que, durant la période étudiée, des personnes résidentes de MR/MRS ont été privées de transferts dans des établissements hospitaliers. Les soins qui étaient habituellement prodigués dans des hôpitaux ont dû être apportés à l’intérieur même des MR/MRS, sans les ressources en personnel et l’expertise dont disposent les structures hospitalières. La limitation de l’accès des médecins généralistes aux MR/MRS a encore aggravé la situation. Cette situation a été amplifiée par l’absence de lignes directrices gouvernementales précises, claires, adéquates et légales sur la covid-19 dans les MR/MRS.
Liberté de circuler : ah bon ?
Après le premier confinement, l’organisation des visites a largement été laissée à la discrétion des MR/MRS. Les dispositions qui en ont découlé ont parfois été décidées sans consultation des personnes résidentes, de même que les autres mesures (généralement restrictives) mises en place pour se prémunir de nouvelles contaminations. Dans ce contexte, la liberté et l’autonomie décisionnelle de ces personnes, souvent, n’ont pas été dûment prises en compte.
Toutes les autorités compétentes doivent garantir que les mesures relatives aux visites dans les MR/MRS placent l’intérêt supérieur des personnes résidentes au centre des préoccupations. Nous plaidons par ailleurs pour la mise en place de processus de consultation incluant les personnes résidentes, leurs familles et le personnel.
Pour l’inspection, vous repasserez
Par ailleurs, il faut s’inquiéter d’informations indiquant un recours accru aux moyens de contention mécaniques et chimiques à l’encontre de personnes âgées atteintes de démence. Cette question, qui préoccupait déjà Amnesty avant la crise de la covid, n’a fait que s’aggraver durant cette période.
Cela est d’autant plus préoccupant que le système d’inspection des maisons de repos, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, n’en est pas vraiment un, aux yeux de la législation internationale, et notamment européenne, en matière d’indépendance notamment. La tradition voulait ainsi que l’Agence pour une vie de qualité (AVIQ) annonce la veille aux directions leur visite dans leur établissement. Bien souvent, l’inspection s’est révélée être d’abord un contrôle de respect des normes plutôt qu’un outil au service du bien-être des résidents. Si aujourd’hui, la ministre Christie Morreale a pu envoyer une circulaire à l’AVIQ repoussant cette « tradition », il n’en reste pas moins que ces services ne sont pas (encore, espérons-le) des organes véritablement indépendants.
Il nous apparaît dès lors urgent d’améliorer les mécanismes de surveillance et de renforcer les mesures visant à amener les responsables de violations des droits humains des personnes résidentes de MR/MRS à rendre des comptes.
C’est un vaste chantier, c’est clair. Car il est évident, comme l’annonce le titre de notre rapport, que les maisons de repos furent dans l’angle mort de nos gouvernements depuis bien trop longtemps.
Il ne s’agit pas, et nous l’avons répété à toutes les autorités que nous avons rencontrées, d’essayer d’en revenir au plus vite à la situation d’antan. Les normes d’accompagnement ont été fixées dans les années 1980, « plic-ploc », comme me l’a rapporté une personne impliquée dans le secteur.
La dignité et les droits des personnes, même âgées, réclament une attention urgente et sur le long terme.
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