• Julie Pernet
    Julie Pernet
    chargée de mission Europe et International au Centre d’Action Laïque

Extrémismes religieux : la recherche en ligne de mire

Depuis les années 1970 et les avan­cées en matière de droits repro­duc­tifs et de droits des personnes LGBTQIA+1, les mouve­ments anti-choix (ou « pro-vie » comme ils aiment se présen­ter) travaillent à promou­voir une vision reli­gieuse (plus parti­cu­liè­re­ment chré­tienne) et rétro­grade de la société.

On citera l’interdiction de l’avortement et de la procréa­tion médi­ca­le­ment assis­tée (PMA), le refus du mariage et de l’adoption pour les couples homo­sexuels, l’interdiction du droit à mourir dans la dignité, la défense de la « famille tradi­tion­nelle » mais aussi le refus des moyens de contra­cep­tion dits « modernes » et l’opposition à l’éducation à la vie sexuelle et affec­tive à l’école.

En Belgique, on retrouve les biens connus Marche pour la vie ou l’Institut Euro­péen de Bioé­thique. Mais il y en a d’autres : La Manif pour tous (France), Hazte Oir (Espagne), Ordo Iuris (Pologne), Fonda­zione Vita Nova (Italie), Citi­zen Go, le Centre Euro­péen pour le Droit et la Justice, la Fédé­ra­tion des Asso­cia­tions Fami­liales Catho­liques en Europe, Alliance Defen­ding Free­dom – trans­na­tio­nales quant à elles.
Si ces mouve­ments existent depuis long­temps, leur acti­visme a gagné en visi­bi­lité et en effi­ca­cité depuis quelques années. Cela tient notam­ment à une profes­sion­na­li­sa­tion gran­dis­sante2 et à un enga­ge­ment finan­cier accru de certains dona­teurs clés (notam­ment améri­cains et russes3).

Fortes de ces mannes finan­cières, ces orga­ni­sa­tions ont fait peau neuve. Leur commu­ni­ca­tion a été renou­ve­lée et leurs stra­té­gies sont en très large majo­rité « profanes », c’est-à-dire éloi­gnées du lexique reli­gieux. Leur lobbying utilise des argu­ments juri­diques, pseudo-scien­ti­fiques et civilisationnels.

Comme l’a révèlé la campagne actuelle des élec­tions euro­péennes, les insti­tu­tions de l’Union euro­péenne sont deve­nues une cible privi­lé­giée de ces acti­vistes. Si les droits sexuels et repro­duc­tifs et les droits LGBTQIA+ consti­tuent leur domaine de prédi­lec­tion, d’autres secteurs moins média­ti­sés sont néan­moins atta­qués. Comme celui de la recherche scientifique.

Fortes de ces mannes finan­cières, ces orga­ni­sa­tions ont fait peau neuve. Leur commu­ni­ca­tion a été renou­ve­lée et leurs stra­té­gies sont en très large majo­rité « profanes », c’est-à-dire éloi­gnées du lexique religieux.

Cette liberté chère aux libres penseurs est régu­liè­re­ment atta­quée par ceux qui privi­lé­gient une concep­tion biblique du début de la vie. En 2014, un réseau d’organisations anti-choix a notam­ment lancé l’offensive Un de Nous, péti­tion qui a réuni près de deux millions de signa­tures grâce à l’ancrage local des Églises. Un de ses objec­tifs était de couper tout finan­ce­ment euro­péen pour la recherche sur les cellules souches embryon­naires humaines. L’argumentaire était simple : préser­ver la « dignité » de l’embryon humain et utili­ser les cellules souches adultes préten­du­ment équi­va­lentes. La Commis­sion euro­péenne leur a opposé une fin de non-rece­voir, en mention­nant le compro­mis adopté quelques années plus tôt : l’UE finance ce genre de projets de recherche seule­ment dans les États où cette recherche est légale (comme en Belgique). En ce sens, l’ « Europe » ne se substi­tue pas aux États membres qui décident eux-mêmes du statut de l’embryon. Mais plus encore, à la demande de certains pays conser­va­teurs, l’UE ne finance que les projets de recherche qui ont déjà des cellules souches embryon­naires humaines à leur dispo­si­tion. En clair, l’UE ne finance pas la créa­tion de nouvelles cellules souches, étape qui implique inévi­ta­ble­ment la destruc­tion de l’embryon. Ce compro­mis, insa­tis­fai­sant pour beau­coup, a néan­moins le mérite d’exister. Il est cepen­dant régu­liè­re­ment remis en cause par les forces les plus réac­tion­naires dès lors que le budget euro­péen de la recherche est négocié.

CC-BY-NC-SA Flickr​.com – Anfad

La réponse néga­tive de la Commis­sion euro­péenne à « Un de Nous » n’a cepen­dant pas arrêté les anti-choix. Ils se sont ainsi tour­nés vers la Cour de Justice de l’UE, prétex­tant un « déni démo­cra­tique ». Cour qui leur a égale­ment opposé une fin de non-rece­voir. S’il doit nous réjouir, ce résul­tat ne peut en aucun cas être consi­déré comme acquis. Dans plusieurs pays et au niveau des insti­tu­tions euro­péennes et onusiennes, les mouve­ments anti-choix multi­plient les initia­tives. Que ce soit en matière de restric­tion du droit à l’IVG (Pologne, Espagne, Hongrie, Belgique) ou en matière de droits LGBTQIA+ (Croa­tie, Slova­quie, Rouma­nie, UE avec la péti­tion Mum, Dad and Kids).

L’essor des mouve­ments popu­listes d’extrême droite dans plusieurs pays euro­péens donne à ces orga­ni­sa­tions qui tentent de
« rechris­tia­ni­ser » l’Europe par tous les moyens, une caisse de réso­nance consi­dé­rable contre laquelle les laïques et autres mouve­ments progres­sistes doivent se mobi­li­ser plus que jamais.


  1. NDLR : lesbiennes, gays, bis, trans, queers, inter­sexes, asexuelles et toutes les autres appelations.
  2. « Restau­rer l’ordre natu­rel » : un agenda pour l’Europe, EPF, 2018.
  3. « Revea­led : Trump-linked US Chris­tian ‘funda­men­ta­lists’ pour millions of ‘dark money’ into Europe, boos­ting the far right », Open Demo­cracy, Mars 2019.
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