Au détour d’une visite en prison

Ce 31 janvier, les orga­ni­sa­tions reli­gieuses et philo­so­phiques non-confes­sion­nelles sont invi­tées par le Ministre de la Justice à une visite de la prison de Saint Gilles.

Certes, cette visite sera l’occasion de saluer le travail des conseillers reli­gieux et moraux. Mais le Centre d’Action Laïque entend surtout rappe­ler que si les années se succèdent, les condam­na­tions de l’État belge aussi.

Ainsi, le 9 octobre 2018, le tribu­nal de 1ère instance de Liège décla­rait l’État belge respon­sable de la surpo­pu­la­tion carcé­rale à la prison de Lantin. Et ce 9 janvier 2019, le Tribu­nal de 1ère instance de Bruxelles faisait de même pour les prisons de Saint-Gilles et Forest.

Depuis les années 80, le nombre de déte­nus a augmenté de 63% alors qu’en 10 ans, la crimi­na­lité a baissé de 15% en moyenne en Belgique et de près de 20% à Bruxelles.

Ces déci­sions de justice ne font que rappe­ler ce que nul respon­sable poli­tique ne peut igno­rer : la surpo­pu­la­tion carcé­rale est la honte de notre démo­cra­tie et une plaie ouverte dans notre État de droit. Plus de 10.600 personnes sont déte­nues dans les prisons belges alors que la capa­cité moyenne est de 9.687 places. Depuis les années 80, le nombre de déte­nus a augmenté de 63% alors qu’en 10 ans, la crimi­na­lité a baissé de 15% en moyenne en Belgique et de près de 20% à Bruxelles.

Pour­tant, dans un arrêt du 25 novembre 2014 condam­nant la Belgique pour trai­te­ments inhu­main­set dégra­dants, la Cour euro­péenne des droits de l’Homme a quali­fié cette surpo­pu­la­tion dans les prisons belges de « struc­tu­relle ». Comme si nos auto­ri­tés publiques s’y étaient en quelque sorte résignées …

Les conseillers laïques sont parmi les premiers, au quoti­dien, à pouvoir en mesu­rer les consé­quences concrètes en termes de viola­tions de droits de l’Homme : tensions entre déte­nus, hygiène drama­tique, acti­vi­tés réduites, impos­si­bi­lité pour le person­nel médi­cal et social d’assumer leurs fonc­tions, liens avec le monde exté­rieur rendus encore plus compli­qués… Ainsi que le rele­vait la section belge de l’Observatoire inter­na­tio­nal des prisons dans sa Notice de 2016, « le phéno­mène de surpo­pu­la­tion touche tous les aspects de la gestion des établis­se­ments ».

Face à cela, les solu­tions prônées depuis fort long­temps par nos respon­sables poli­tiques semblent se réduire à, d’une part, une exten­sion du domaine de la répres­sion couplée à un alour­dis­se­ment du régime de sanc­tion et, d’autre part, une course folle aux places de prison supplémentaires.

Peu importe les innom­brables études scien­ti­fiques ou rapports démon­trant que ces mesures sont loin de produire les effets atten­dus, de façon géné­rale, dans le domaine de la sécu­rité, il « remonte à long­temps ce mépris affi­ché pour l’intelligence au béné­fice de postures martiales » 1.

Dans son rapport daté de 2018, le Comité euro­péen pour la préven­tion de la torture a cepen­dant encore indi­qué à la Belgique que la lutte contre la surpo­pu­la­tion carcé­rale « doit avant tout être axée sur la réduc­tion et la maîtrise de la popu­la­tion carcé­rale et non sur l’augmentation sans fin du nombre de places ».

Et en effet, aujourd’hui, la sanc­tion trop souvent récla­mée est aussi deve­nue le problème. S’attaquer aux causes de la surpo­pu­la­tion carcé­rale est donc essen­tiel mais, visi­ble­ment, pas aux yeux de tous.

La démis­sion fracas­sante en octobre dernier de deux membres de la Commis­sion de réforme du Code pénal en témoigne à suffi­sance : pour Damien Vander­meersch, loin des options rete­nues par le Ministre de la Justice, « un droit pénal moderne ne doit pas juste s’appuyer sur la peine de prison. (…) Il y a d’autres réponses. (…) Car on sait que la prison est contre-produc­tive, et qu’elle produit la réci­dive » 2.

Le Centre d’Action Laïque propose de réfor­mer en profon­deur le Code pénal afin que la peine de prison ne puisse être pronon­cée qu’en dernier ressort et que les alter­na­tives à la déten­tion soient véri­ta­ble­ment investies.

Il est temps de chan­ger de para­digme. Le Centre d’Action Laïque propose de réfor­mer en profon­deur le Code pénal afin que la peine de prison ne puisse être pronon­cée qu’en dernier ressort et que les alter­na­tives à la déten­tion soient véri­ta­ble­ment inves­ties. Ceci implique de revoir la légis­la­tion rela­tive au casier judi­ciaire et la loi sur la déten­tion préven­tive dans une optique réductionniste.

Par ailleurs, le Centre d’action laïque dénonce la volonté de l’État fédé­ral de construire de nouvelles prisons (via les divers Master Plan des dernières années) qui augmentent de manière très impor­tante le parc carcé­ral via des parte­na­riats publics-privés et qui grève le budget de l’État pour plusieurs décen­nies. Comme l’écrivait Mark Twain, « celui qui ouvre une prison doit savoir qu’on ne la fermera plus ». Le CAL préco­nise de réno­ver les anciennes prisons en privi­lé­giant la créa­tion de petites unités et de prisons ouvertes et semi-ouvertes.

Enfin, il recom­mande de s’atteler réel­le­ment à la réin­ser­tion des détenus par le biais notam­ment de la mise en œuvre des articles rela­tifs aux droits des déte­nus conte­nus dans la loi de prin­cipe du 12 janvier 2005, d’un meilleur suivi psycho­so­cial par les services internes et d’une augmen­ta­tion de leur cadre, de forma­tions quali­fiantes et certi­fi­ca­tives, de remises de peine en cas de réus­site de forma­tions de base. De plus, le Centre d’Action Laïque appelle à l’adoption urgente du projet d’arrêté royal confé­rant un véri­table statut aux conseillers laïques et reli­gieux en prison, ainsi que le rééqui­li­brage du cadre afin de mieux coller à la réalité de la popu­la­tion carcé­rale. En cette période pré-élec­to­rale, le Centre d’Action Laïque invite les partis à faire preuve de courage poli­tique et à ouvrir un débat sur l’enfermement guidés par des consi­dé­ra­tions huma­nistes plutôt que la crainte d’une certaine impopularité.

Henri Bartho­lo­meeu­sen,
Président du Centre d’Action Laïque

Carte blanche publiée sur lesoir​.be, le 30/01/2019 


1 Jean-Pierre Dubois, Le monde qui vient, Rapport de la Ligue fran­çaise des droits de l’Homme, La Décou­verte, 2016.

Publié le 7/02/19